abus dangereux : article
WILLARD GRANT CONSPIRACY
couv

"Pilgrim road" CD (Loose /PIAS)
Lien Myspace

 

Photo Live © Cathimini
Photo © Vinciane Verguethen


                                   L'artisan musicien

Willard Grant Conspiracy est ce groupe à géométrie variable qui gravite autour de l'imposant pilier Robert Fisher, n'hésitant pas à rivaliser de profondeur de voix et de spiritualité avec Nick Cave, période "The Good Son".

Quel plaisir de retrouver Robert, sa corpulence imposante, ses lunettes à écailles (il a rasé sa barbe de père fouettard, marre qu'on ne le regarde qu'à travers ce postiche poivre et sel) et sa générosité ! Cela fait des années que je suis la carrière confidentielle mais prolifique de cet américain qui cherche à chaque album une nouvelle direction pour servir d'écrin à sa voix exceptionnelle. Cette fois-ci, c'est dans une orchestration classique, parfois intime, parfois martiale, que se dévoile l'émotion de chansons universelles sur le doute, la liberté, la croyance, la rédemption… Après l'électrique "Let it roll", "The Pilgrim Road" est sans aucun doute l'un des plus beaux albums de WGC… interprété magistralement sur scène par un orchestre de dix pièces et… Howe Gelb en guest star ! (lire comte rendu du concert ici WGC au Niveau Casino)

Le premier morceau évoque ce moment spécial pour les musiciens en tournée où après la fin du concert et des visites  backstage, vous attendez que tout le matos soit rangé pour monter dans le tourbus.
C'est amusant car tu n'es pas la première à me parler de ça… Et ça n'a rien à voir avec le sujet de la chanson (rires) Ca me plait bien car quand j'écris une chanson, je reste assez vague pour que les gens y projettent leur propre histoire. Je trouve que ça les rend beaucoup plus fortes. Mais la première fois que quelqu'un m'a dit ça, j'ai pensé que j'allais passer pour une sorte de Bob Seeger qui écrit des chansons sur la route etj'étais complètement dépité. (rires) En fait comme dans toutes mes chansons il y a plusieurs couches d'interprétations, donc plusieurs sujets. Mais l'inspiration première est venue de cette route à travers le désert, qui part de la highway5, relie Sacramento à Los Angeles et passe par chez moi. C'est une route toute droite, sans aucun relief particulier. Et quand tu as déjà des heures au compteur, que tu es bien fatigué, qu'il te tarde de rentrer chez toi, c'est vraiment ce qu'on appelle "la dernière ligne droite". Mais elle s'étire sur des kilomètres et des kilomètres, les gens roulent à fond, donc il faut être particulièrement attentif. J'ai ressenti un peu le même genre de sentiment en roulant de la Belgique vers Calais, sur des routes droites dans un paysage plat.   

Donc ces chansons n'ont pas été inspirées par tes dernières expériences sur la route ?
Ce sont des chansons assez vieilles en fait, "Painter blue" a 7 ans. J'ai rencontré Malcom Lindsay il y a six ans et comme c'est un compositeur de musiques de films, il m'a proposé de travailler sur un album orchestré avec cordes, piano, vents… Il y a deux ans et demi, nous avons commencé à échanger par internet quelques idées. Jacky Liven , un excellent songwriter, m'a demandé de chanter sur son album "Elegy for Johnny Cash". Il m'a invité à venir dans son studio au Pays de Galle. Malcolm est descendu et m'a fait écouter un CD de musiques qu'il avait composé pour le Moscow String Quartet qui passait par Glasgow. C'était extraordinaire, à la fois minimaliste, moderne et classique, aussi beau que du Sturges. J'avais déjà entendu "Young Adam" avec David Byrne et d'autres trucs, mais là j'ai vraiment senti mes cheveux se dresser sur ma tête. J'ai compris qu'il ne cherchait pas à envelopper les chansons avec des arrangements pour faire joli, mais il avait la même envie de minimalisme juste et nécessaire que moi et que donc nous pouvions travailler ensemble. Mais pour que ça marche, il faudrait écrire ensemble, dans la même pièce. Donc j'ai fait un tour solo en Europe et j'ai pris dix jours au début pour aller chez lui. Nous avons écrit de manière très intuitive les bases de trois chansons, juste avec deux guitares et un magnéto. Nous avons développé le concept de l'album, échangé d'autres idées mais nous n'avons pas eu le temps d'en faire plus. Je suis reparti et en dix jours j'avais composé huit chansons de plus. Nous avons tout réécrit par la suite via internet, mais le côté organique de notre collaboration avait besoin de ce départ en face à face réel. Je suis parti de nouveau en tournée pendant cinq semaines en Europe et j'ai réservé une semaine à l'écriture à Malte. J'ai écrit deux chansons de plus, une dans l'aéroport de Milan et nous avons enregistré tout ça dans la foulée. Le plus difficile était de pouvoir faire jouer tous les musiciens et interprètes auxquels nous pensions. WGC est une maison ouverte donc Josh Hillman (violin, viola) Tom King (drums), Erik Van Loo (double and electric bass) sont là, mais il y a d'autres personnes comme les Doghouse Roses que nous avons rencontrés la première semaine où j'étais chez Malcolm. Ils m'avaient invité via myspace à un concert, et étaient tout étonnés de me voir en chair et en os. Nous avons sympathisé et du coup je les invités sur l'album. Ca se passe souvent comme ça… Puis Malcolm les a aidés à arranger et enregistrer leur propre album.

Finalement, tu disais que c'étaient de vieilles chansons, mais à part "Painter blue", tu sembles avoir tout écrit récemment…
Oui, à part quelques reprises…

Des reprises ?

Oui "Miracle on 8th street " est une chanson de Mark Eitzel.

????
Ne t'inquiète pas, des fans plus hardcore de American Music Club ne l'ont pas reconnue non plus. Ca me fait plaisir car je me dis que j'aurais peut être été capable d'écrire cette chanson moi-même. (rires) C'est très satisfaisant pour l'ego de pouvoir s'approprier un morceau de cette qualité et les gens n't voient que du feu. Je ne fais pas beaucoup de reprises mais j'ai aussi craqué sur "Phoebe" de Lal Waterson, une chanteuse anglaise folk très connue dans son pays, morte il y a une dizaine d'années. On m'avait demandé de participer à un tribute ("Migrating Bird" Honest Jon's/ EMI sorti en 2007) et j'en ai profité pour enregistrer deux versions, une pour leur disque et une pour moi.

J'adore ces morceaux où on entend plein d'instruments qui vont et viennent, ces ponts, ces digressions qui en font des symphonies de poche avec en plus une histoire à suivre. Comment viennent les idées d'arrangements ?
Je pense qu'il devrait y avoir une trompette là. Ca serait cool d'avoir une fanfare ici. Ce n'est pas plus réfléchi que ça. Malcolm a toute une bibliothèque de samples d'instruments donc on pouvait facilement faire des essais tous les deux et voir si ça fonctionnait. On a pu ensuite les remplacer par les vrais instruments.

Le titre "Pilgrim road" et plusieurs chansons évoquent Dieu et diverses croyances religieuses (The great deceiver, The pugilist, Jerusalem bells, Vespers). Quelle place la religion occupe dans ta vie ?
Attention il ne s'agit pas de religion, mais de foi ! C'est plutôt sur la manière de se découvrir, de se comprendre, de voir quelles sont tes relations avec le monde, aussi bien sur le plan spirituel qu'instinctif. Je parlerais donc plutôt de spiritualité. " The great deceiver" par exemple est structuré comme un hymne que tu pourrais entendre dans une petite église. Mais les paroles vont à contre courant de la tradition religieuse puisque je dis : "où est mon grand tricheur ?" au lieu de "où est mon grand sauveur ?". C'est comme si je disais où est le diable (dark lord), montrez-le moi pour que je puisse comprendre Dieu. Dans les religions traditionnelles, on essaie de nous couper de nos désirs et de nos instincts en invoquant l'œuvre du Diable. On voudrait qu'on vive dans la lumière de Dieu, d'une manière très saine. Mais le problème de ces religions c'est qu'elles nient la complexité de la nature humaine contre laquelle elles ne peuvent rien. Nous avons tous en nous du bien et du mal et ne pouvons pas vivre sans l'un et l'autre. C'est important de connaitre ses mauvais penchants pour pouvoir exploiter les bons.

C'est l'histoire de "The Pugilist"…  

Tout à fait. C'est un homme qui a toujours vécu à travers le regard des autres, et qui décide à la fin de sa vie de s'occuper enfin de lui-même. Il laisse Dieu et le Diable se battre pour les âmes des autres.  Je suis heureux de connaitre des gens qui ont réussi à atteindre un niveau de spiritualité et de sérénité qui les aident à accepter ce qu'ils sont et qui m'ont aidé à aller dans ce sens aussi. C'est la clé pour mieux comprendre le monde et s'y insérer au mieux. Mais malheureusement il y a peu de gens qui pensent ainsi aux Etats Unis. Donc l'album est inspiré de "The Pilgrim's progress", un texte classique anglais du 16ème siècle. C'est une allégorie sur des pèlerins qui cherchent la lumière, traité sous la forme d'un conte très intéressant. C'est un texte qui défend les valeurs chrétiennes et à la fois explique que la vie est un travail de tous les jours pour mieux comprendre. Qu'importe le chemin, c'est la finalité qui est importante. Je n'aurais jamais pensé être intéressé par un texte religieux car je trouve que la plupart sont dangereux. Mon arrière grand père et son père avant lui étaient des ministres du culte quackers. Mon grand père me disait que quand il était petit, son grand père lui disait que la religion était comme les roues d'un train. Dieu est le moyeu, les rayons sont les courants religieux et les gens sont le tour de la roue. Quelle que soit ta religion, tes pensées et tes croyances sont tournées vers le centre, quel que soit le nom que tu lui donnes. Ces paroles m'ont marqué à jamais et donc j'ai toujours trouvé ridicule le discours des intégristes de tous bords qui veulent te faire croire que si tu n'adhères pas à leur religion, tu ne seras pas sauvé. Malheureusement beaucoup de gens se laissent piéger et c'est pourquoi on en est arrivés là. C'est l'un des discours les plus dangereux qui soit et les dirigeants (religieux ou politiques) investissent tellement de moyens pour obliger les gens à penser comme eux que ce n'est pas près de changer. Ce disque a été créé comme une discussion, un peu comme ce que nous faisons en ce moment. Combien de disques pop vont te pousser à parler de Dieu et de ce que nous échangeons depuis tout à l'heure ? Mais attention Dieu n'est pas le sujet de l'album, c'en est un parmi d'autres.   

Ce qui est bien avec "The Pilgrim road", c'est que tout n'est pas noir ou pessimiste comme souvent dans tes albums. Il y a en particuliers cette fille dans "Painter blue" qui se libère et part vers la mer, pleine d'espoir.
Cette chanson me fait penser à la séquence des éléphants dans "Fantasia".
© Cathimini
Qui chante sur "The great deceiver" ?
Iona Macdonald, la moitié du duo folk Doghouse Roses. Elle vit dans le nord de l'Angleterre et nous a accompagnés plusieurs fois en tournée en Europe. Les gens qui chantent le refrain est une bande d'amis de Malcolm. En fait, chaque fois que quelqu'un passait à la maison, il l'entrainait dans le studio et l'enregistrait. L'idée était de rassembler des gens qui ne chantent pas habituellement, pour avoir vraiment cette impression de congrégation et non de chorale.

Est-ce que c'est suite à l'album de Howe Gelb "S not angel" que tu as eu cette idée ?

Non, c'est une coïncidence car j'avais cette idée de gospel en tête depuis longtemps. On avait déjà discuté de ça avec lui à l'époque où John et Joey faisaient encore partie de Giant Sand. Il était super enthousiaste au sujet d'un album de rythm'n'blues traditionnel. Je ne sais pas s'il a enregistré quelque chose avec eux dans ce sens ou quoi.

Comment l'as-tu intégré dans la tournée de mai ?

Je lui ai demandé. Il a d'abord refusé puis je l'ai convaincu en lui disant qu'il aurait toute liberté pour faire ce qu'il veut. J'ai vraiment envie de m'amuser avec cette tournée, avec l'orchestre, avec lui. Bien sur d'un point de vue financier, c'est un suicide car nous ne sommes pas assez connus pour faire salle comble, mais je m'en fous. Je n'aurai pas l'occasion de le refaire donc tout ce que je veux c'est avoir du bon temps et le partager avec lui. Il n'est pas en tête d'affiche donc il n'a aucune responsabilité, pas de pression, sept ou huit personnes avec lesquelles il peut jouer tous les soirs. Tout ce qu'il a à faire c'est monter dans le bus à l'heure. Il est invité d'honneur !

Le chœur revient à la fin de l'album, pourquoi ?
C'est une sorte de morceau caché et j'aime bien faire ça. Déjà dans le premier album, j'avais cette fanfare pour "Chinese new year on New York city" J'aime bien l'idée de boucler l'album avec quelque chose qui marque bien que c'est fini. "The great deceiver" reflète bien l'esprit de l'album et je trouvais qu'en faire une reprise à la fin était une manière de renforcer la cohérence de l'ensemble.

Où as-tu trouvé le dessin qui illustre la pochette de "Pilgrim Road" ?
Ca provient d'une série de monochromes qui s'appellent "La couleur des cendres". Tout le graphisme de l'album a été fait pas Stuart Duffin qui joue de la basse sur "Miracle on 8th street". Il m'a aussi procuré un enregistrement des vraies cloches de Jerusalem pour le morceau du même titre. C'est un artiste très spécial.

 Les peintures de "Let i roll" étaient aussi très réussies…
C'est Kohl King, la femme de Tom King qui s'est occupé de l'artwork de l'album. J'ai un de ses tableaux à la maison c'est pourquoi je pensais qu'elle pourrait faire quelque chose d'intéressant. Au départ elle devait suivre mes suggestions, mais elle n'en a fait qu'à sa tête.

Pourquoi as-tu choisi de reprendre "Ballad of a thin man" de Dylan sur "Let it roll" ?
Uncut magazine nous a demandé pendant la tournée qui nous a amenés à enregistrer Let it roll, d'enregistrer quelque chose pour leur tribute Highway 61. Nous avons choisi ce morceau démocratiquement parce que nous pensions tous que c'était le seul auquel nous pouvions apporter quelque chose. Il a fini sur l'album car il faisait partie de l'expérience que nous avions vécue tous ensemble. L'album est un essai de capturer l'esprit live de cette version du groupe.

Que représente Bob Dylan pour toi?
Il y a peu d'artistes qui représentent aussi bien que lui le mètre étalon de ce que devrait être un artiste. En plus d'avoir été au bon endroit au bon moment dans les 60's, Dylan s'est maintenu à un haut niveau tout au long de son œuvre. Il ya une certaine bravoure dans sa volonté de suivre sa muse qui est remarquable.

Tu as aussi participé à un tribute to Johnny Cash. C'est l'illustration idéale de ce que nous disions sur le bien et le mal en chacun de nous qui sont tous deux nécessaires à notre épanouissement?
Je crois que comme Bob Dylan, Leonard Cohen, Neil Young ou John Cale, Johnny Cash était surtout un artiste qui m'inspirait et me pousse aujourd'hui encore à créer, grâce à sa capacité à évoluer dans le temps tout en restant intéressant.

Tu as chanté et produit les Barn Burning. Qui sont ils pour que tu sois aussi impliqué dans leur travail ?

Je connais Anthony depuis les années où je vivais à Boston. J'aime sa manière d'écrire des chansons. Je travaille avec quelques groupes pour les aider à enregistrer leur album. J'aime être au service de la musique de quelqu'un d'autre, c'est toujours enrichissant. J'essaie de comprendre ce que le groupe entend dans sa tête ce qu'il cherche à exprimer à travers sa musique pour le produire au mieux. Ce n'est pas facile mais j'aime beaucoup ce challenge.

Quels sont tes projets en ce moment?

Je suis en train de construire une salle à manger dans mon patio. Je retape ma maison petit à petit depuis quelques temps.    

J'ai vu que ton site et ta page myspace sont riches et tenus à jour. Qui s'en occupe ?
C'est moi ! J'essaie de répondre individuellement à tous. Je vais regarder tous les sites des gens et des groupes qui me demandent d'être ami, pourvu qu'ils me mettent un petit mot. Je pense que c'est une expérience intéressante de communauté et ça me donne l'occasion de parler directement à ceux qui apprécient notre musique où qu'ils soient dans le monde.  

Cathimini

 

© Cathimini