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FESTIVAL SUB POP 20 ans
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© Patrice Mancino


                          Mudhoney is playing at my house...


Pâtés de sable ou petits fours ? Que faire pour fêter son 20e anniversaire ? Mettre les petits plats dans les grands, ou afficher une certaine modestie malgré le fait d'être devenu un fameux label ? Sub Pop a certes connu des haut et des bas comme de nombreux autres mais son histoire est somme toute celle d'une forme de success story, indécente ( ?). A ce sujet Jonathan Poneman, l'un des fans de musiques à l'origine de l'aventure acquiesce en demi-teinte «La vie a ses hauts et ses bas, et on ne sait pas comment va se terminer l'histoire tant qu'on n'a pas fini le livre. Je pense Sub Pop est une success story, on existe depuis vingt ans et on a sorti beaucoup de bonne musique mais on pourrait nous opposer le fait que notre succès n'est dû qu'à un seul des disques que nous avons sorti.»
En tout cas, à l'heure où les ténors de l'industrie du disque se plaignent des ravages de leurs propres stratégies commerciales qui n'ont contribué à rien d'autres qu'à scier les branches sur lesquelles ils étaient assis, le petit label devenu grand a su traverser plus d'un orage, saisissant les opportunités et élargissant au fil du temps son catalague à des groupes extérieures à sa zone d'influence première, Seattle et sa région, et au delà du grunge.

Anniversaire donc. Les pâtés de sables, on en était pas loin, à Marymoor Park, lieu choisi par SP pour célébrer l'événement, sauf qu'à Seattle, Redmond plus précisément, la mer est loin, mais l'esprit «je creuse, je découvre» est bel et bien (toujours) là ...Tout a débuté, en 1979, en 1987 ou en 1988, au choix, selon que l'on prend en compte la création par Bruce Pavitt du fanzine «Subterranean Pop», que l'on considère la date de sortie de «Dry  as a Bone» de Green River (SP11) ou l'ouverture des premiers (minuscules) bureaux de «Sub Pop», par Bruce Pavitt et son comparse et néanmoins associé Jonathan Poneman, le 1er avril 1988 (ça ne s'invente pas), suivie de peu par la parution du «Super Bigmuff EP» des Melvins (SP21)...

Les Etats-Unis savent cultiver la contradiction, jusque dans les actes les plus rebelles en matière culturelle... «culturewise», comme on dirait là-bas... N'est-il pas amusant qu'une langue permette d'associer dans un même mot «culture» et «sagesse», de la même manière que ses acteurs associent sans vergogne culture, underground et business, sans forcément s'y perdre corps et âme. Ainsi... Est-il vraiment surprenant que Sub Pop fête ses 20 ans par un «grand» raoût de 5 à 7.000 personnes jour, près de Redmond, Etat de Washington, dans un parc naturel protégé, à quelques encâblures du «campus» d'une des sociétés les plus puissantes de la planète et dont les logiciels sont installés sur plus de 90% des ordinateurs à travers le monde.
Or donc... ça donne quoi (?) un anniversaire, à l'américaine, d'un des labels indés les plus réputés de la planète et dont l'emblématique logo noir et blanc flottait pour l'occase au sommet du Space Needle (à quand un drapeau Vicious Circle, Jarring Effect ou autre au sommet du plus haut édifice de leurs villes respectives pour leurs 20 ans ?...).

© Patrice Mancino

Deux jours de concerts, entre midi et 22h, en plein air, ambiance bouffe, garden party, bouffe, famille, transats et serviettes, bouffe... face à deux scènes accolées, dos au soleil (une idée incongrue au premier abord mais beaucoup moins -pour les artistes- après une heure passée à cuire sous un soleil de plomb... Deux scènes donc, «This stage» et «That stage», le «This» surclassant le «That» de plusieurs mètres carrés, et proposant une sélection plus mainstream, folk-pop et hippie façon «This is cool my friend, isn't this a birthday party after all» tandis que sa voisine semble être là pour dire «That's motherf***ing grunge & punk man !».
C'est un anniversaire dont il s'agit, mais l'eau a coulé sous les ponts, à Seattle, ces 20 dernières années. Parfois, le destin aura choisi pour nous, parfois les médias, l'industrie ou le public... Toujours est-il que l'on rêvait bien évidemment de (re-)voir quelques groupes de la première heure... Et bien ce fut chose faite... Pas de reformation de Screaming Trees, malheureusement, même si Mark Lanegan n'était pas bien loin, et non «Nirvana n'a pas joué», quoi que personne n'en aurait voulu à Mark Arm s'il avait accompagné sur scène Dave Grohl et Krist Novoselic puisqu'il était de toutes façons déjà à l'affiche avec Mudhoney, et la reformation de feu-Green River... Mais bon, Sub Pop, qui fut certes également celui du premier album de Soundgarden, fut aussi celui de Green River, donc, des Vaselines, d'Eric's trip, de The Fluid, et des Thugs (on y reviendra), tous reformés ou réunis pour l'occase... Eh oui ! Quand on a la chance d'être soutenu par un label comme celui-là, on en est fier et reconnaissant... Question  de savoir-vivre...

Le programme de ces jours de festivités, en plein air ou en salle, ce sera donc une longue (et sympatique) suite de groupes plus ou moins jeunes, attendus, à découvrir, ou autre... Au menu de Marymoor Park, ou plutôt à la carte, on retiendra en plus des reformations sus-citées, les Constantines, Kinski, Seaweed, Low, Iron & Wine, Pissed Jeans, Fleet Foxes, Foals, Wolf Parade, ...
D'entrée de jeu, le programme du samedi était on ne plus alléchant avec les prometteurs The Obits (http://www.myspace.com/obitsband), Constantines et la réunion de Julie Doiron et de son Eric's Trip. Quand Seaweed monte sur scène, la température est déjà élevée et les cinq de Tacoma, WA, profitent allègrement de l'état second dans lequel baigne l'audience, assise ou debout, mais dégoulinante pour asséner un set millimétré de 40 minutes qui laissera des traces... notamment un large sourire béat mêlant bonheur d'être là et sensation de flottement après un bon moment de pur punk, massif, carré, à l'ancienne. Au final, le strict respect du volume Db-métrique n'apparaît plus tant que ça comme une hérésie... On peut même échanger des commentaires avec son voisin sans achever de lui exploser les tympans... et la qualité de son ajoutée à la taille humaine du site fait que l'on a presque l'impression d'être à la maison avec quelques potes (4.000 à cette heure là ?).. à cet instant un détail interpelle... Il fait pas un peu chaud là ? Qui a laissé la porte du four ouverte ?

La suite de la journée sera du style Beavis & Butthead : (une baffe)... Aïe ça fait mal euh ! Oui mais là, maintenant, tu te sens vachement mieux non ? Ah ben ouais ?!?!! (re-baffe) Aïe euh ! Oui mais là maintenant tu sens comment ? Cooool ! (re-re-baffe) Cooool).
Helio Sequence jouera donc les beaumes Kamol avant de nous laisser entre les cuisses des Pissed Jeans, magnifiques de punk attitude lacive et sudoripare. Les Fleet Foxes viendront ensuite démontrer sur scène que leur album à pochette néerlandaise ne cache rien de moins sur scène qu'un folk aérien, sensible et envoûtant qui pourrait pousser Devendra Benhart à regarder derrière lui avant que ces renards-tortues ne lui fassent le coup du lapin... Désolé... je reprendrais bien une de leur space pizzas moi... mais c'est que la suite n'allait pas nous laisser (re-)tomber comme ça, sans rien faire...
Ce fut donc re-baffe... Merci The Fluid... John Robinson aux commandes du quintette, chemise rose sous veston, aux allures de Mick Jagger dandy croisé avec Iggy Pop tout en hargne et retenue.
Et là il n'est que 18h00 ...
Restent encore à venir rien de moins que Low (ah Low... ! merci, et merci encore) comme pour mieux sentir la différence avec Mudhoney... C'est par où l'infirmerie ? non parce qu'une série Pissed Jeans - Fleet Foxes - The Fluid - Low - Mudhoney ça laisse rôti... Bon ben je vais reprendre une bière moi. Où est ma carte d'identité ? Bref Mudhoney... Comment dire ?... Ca ce sont gars qui en imposent... La classe ! Mark Arm est reptilien, «Touch me I'm Sick» (bien sûr) est magnifique, «I'm Now» et autres «tubes» enterrent tout et le public à la bouche entrouverte, avec un sourire béat déjà aperçu quelque part... Du coup la fin de soirée, passe sans qu'on n'y entende plus rien, une petite oreille polie jetée à Iron and Wine et Flight of the Conchords. J'ai rien compris mais les Américains euh était hilare devant le set du duo à la mode de comedy-rock... Et donc là, il est 22.00, l'heure d'aller se coucher ou presque, enfin c'est surtout l'heure de trouver une navette pour rentrer en ville...

© Patrice Mancino

© Patrice Mancino

Le lendemain, à l'heure où certains sortent de la messe, d'autres, plus nombreux mais pas moins fervents ont à nouveau rendez-vous au soleil, à l'ombre de séquoias géants (c' était des séquoias ? je ne sais pas, mais ils étaient bien géants, un peu comme ces hamburgers à tenir à deux mains, ces frites plus grosses que mes doigts, et ces glaces vertes en forme de tortues ninja ou jaune et rouge en forme de je ne sais plus trop quoi...).
Le dimanche attaque tout en douceur (mièvreries ?) avec une série de groupes folk hippisants... Mais c'est pas grave... Willie Nelson est un peu leur Brassens à eux tout, comme Woodie Guthrie et les Beach Boys sont leurs... euh non rien... Bref, ce moment de calme avant la tempête est plutôt le bienvenu... Euh ! Excuse-me mister. do you know where i could find «un peu d'ombre ?»...
De toute façon, le petit groupe de frenchies que nous sommes, et quelques locaux rencontrés l'avant-veille ne sont là que pour une chose (ou presque)... les Thugs. Jonathan Poneman, aujourd'hui seul maître à bord du navire Sub Pop confie lui aussi que pour c'est un des concerts, si ce n'est LE concert, qu'il attend avec une certaine impatience.
Rendez-vous est pris... Ce sera à 16h00 pétantes, «That stage»... Cette scène-là qui ouvre la série diabolique du jour : Kinski - Foals - Les Thugs :o) Smile de rigueur non ?
Kinski est beau, comme d'habitude (leur précédent album -AlpineStatic-2005- reste un monument du genre stoner moderne)... les Foals sont aussi autistes que d'habitude mais leur obsession de la technique et du groove passe «toujours aussi mieux» sur scène que sur disque et le public est Ravi (hein Shankar ?... désolé... l'ambiance, le soleil, tout ça...)
Bref 15h58 sonne, si, si... et là on en est sûr... ça va chauffer... Ils sont là, ils sont prêts... On est prêts... On est tous prêts... sauf la façade apparemment... Et bien oui ! C'est comme ça. On fait 9.300 km pour aller jouer en territoire ennemi et la loi de Murphy veut que si il y a une c**** technique, c'est sur les Frenchies que ça tombe. Mais la zen attitude qui prévaut depuis deux jours fait que l'on prend les choses plutôt à la cool... Eric, Thierry, Pierre-Yves et Christophe en seront juste bons pour refaire leur n°6 introductif. Et ensuite ? Ensuite, ça déroule, ça dévale, ça s'emballe... N°6, Your kind of Freedom, Femme fatale, Biking, Dead dreams, Waiting, Pa pa pa pa, I love you so, Dirty white race, et Bulgarian blues... Et là ! Re-sourire béat. Satisfaction... et rappel tiens ! Histoire de... Après ? Après un set de haut vol, compact, vif, tranchant, jouissif, comme nos chers Angevins en ont dispensé tout au long de leur tournée française (voir pp ?), et bien, on est comment dire... repus ! (euh... ai-je déjà évoqué le sourire béat ?). La suite semble lointaine, le temps de redescendre un peu, en sirotant quelques bières et on laisse filer Comets on Fire et Red Red Meat entre autres. La prochaine étape est prévue à 19h20. Heure à laquelle les six de Green River, dont à l'époque deux futurs Mudhoney et deux futurs Pearl Jam, réunis pour l'occasion, joueront les têtes d'affiche... Non sans avoir quelques jours auparavant donné un premier concert en ville, pour un groupe de «happy few», des fans qui pour la plupart ne les avaient jamais vus à l'époque. Ce ne fut d'ailleurs pas le seul «happening» entourant le festival puisque le show box accueillait le samedi soir Tad (remember ?), ainsi que Greg Dulli d'Afghan Whigs et Mark Lannegan, pour un set de Gutter Twins, fin de soirée que je regrette d'avoir zappée pour des raisons de jetlag mal assumées... ou comme ce concert gratuit des Thugs, le vendredi soir, au Neumo's, sur Pike Street...
Et là on se dit qu'ils avaient bien de la chance, les locaux de l'étape, assez vieux à l'époque pour faire la tournée des clubs, dont le feu-Crocodile où tout habitant de Seattle vous dira que c'était LE club mythique aujourd'hui laissé à l'abandon après avoir été racheté pour être délaissé... Comme ce «jeune homme» qui se rappelle avoir vu les Thugs, en 1989, « le meilleur groupe de punk » qu'il ait connu «avec les Bad Brains». Un sentiment partagé par son voisin de tabouret, au comptoir de la fameuse Comet Tavern, qui lui n'a jamais vu le groupe angevin mais qui attend cette occasion depuis plus de dix ans ! Du coup, il les verra deux fois en trois jours... en espérant bien que cette reformation de circonstance leur donne envie de reprendre l'écheveau là où ils l'avaient laissé... un sentiment partagé par plus d'un...
De fait, de fête ( ?), les Green River (dé)livrent un  set impeccable, celui qui, hormis la grosse poilade provoquée par les Flight of the Conchords, seront les 40 minutes ayant suscité le plus de ferveur de la part du public... peut-etre le résultat d'une équation savante associant la tombée de la nuit, l'alcool, 7 heures passées sous un soleil de plomb, un magnifique concert des Thugs, les effervescents Kinski et Foals, et le sentiment que tout ce gai foutoir ne va pas tarder à s'achever... et que demain matin ce sera boulot-boulot et que Sub Pop n'aura plus jamais vingt ans... à peine le temps de rentrer en ville et le drapeau ne trône d'ailleurs déjà plus au sommet du Space Needle... Alors on se dit, tiens on est le 14 juillet, une rumeur veut que Nantes et Seattle soit jumelées et qu'une association locale ait organisé un feu d'artifices... Peu importe, dans quelques heures il sera temps de faire ses bagages, de filer à l'aéroport pour un retour à des choses plus terre-à-terre... Mais l'album photos promet d'être plein de souvenirs...

Pour la conclusion, laissons-la à Jonathan «JP» Poneman, quant à savoir ce qu'il craint le plus aujourd'hui pour la musique de demain, le mauvais goût, la hype ?
«Je crois que ce que je crains le plus c'est la hype parce qu'elle a une existence qui lui est propre. Le dernier truc à la mode ces derniers temps ça a été 'la mort de l'industrie de la musique' (...) elle n'est pas morte, elle est en pleine transformation !
Peut-être que la vieille industrie monolithique est morte mais elle le mérite ! Je déteste que les gens répètent 'j'ai entendu dire que l'industrie du disque était morte' mais je crois qu'en soit il y aura toujours besoin de labels, parce que s'il y a bien une chose que font les labels c'est donner une plate-forme à des disques et de la musique qu'ils estiment plus intéressants.
Si vous surfez sur myspace vous vous rendez vite compte (ce que c'est un monde sans labels). J'ai passé des heures à passer de pages en pages et je trouve que c'est un cauchemar. Vous être perdu dans un océan de médiocrité à moins que vous ayez de la chance. Donc c'est la hype que je crains le plus.»
«Le mauvais goût ? Non ! Depuis que je bosse là dedans, il a toujours fait partie du business».
A l'époque de cet anniversaire, Sub Pop sortait son SP777 (Fleet Foxes) comme un symbole involontaire des mutations opérées ces 20 dernières années. A quand le SP 1000  et surtout qui ? «JP » propose que ce soit son album solo, une rétrospective des Thugs (toujours le mot pour flatter hein ?) ou un album de Mudhoney...
En attendant, d'autres anniversaires du genre... ou un anniversaire d'Alternative Tentacles, histoire de se donner une nouvelle chance de voir les Thugs invités à se réunir à nouveau pour fêter ça ensemble... on réécoutera I.A.B.F, As Happy as et Strike... Allez les Filles, tout n'a pas complètement disparu, les souvenirs restent et ils sont beaux et intenses.

Patrice Mancino