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FLORENT MAZZOLENI:
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                                                          Jurrasic Rock
 
Les Racines du Rock par Florent Mazzoleni
 
Vous pensiez tout savoir sur le rock, son âge d'or, ses précurseurs - Buddy Holly, Gene Vincent, Eddie Cochran... - ou ses premiers losers magnifiques - Vince Taylor, Carl Perkins... ? Revoyez votre copie !
 
Le rock, appellation aujourd'hui fourre-tout et fortement incontrôlée, pour désigner n'importe quel chevelu qui braille dans un micro, n'est pas né de la dernière pluie. Fêté en 2004 à grand renfort médiatique, le rock aurait eu 50 ans avec la diffusion de That's all right mama d'Elvis the pelvis sur la station de radio WHBQ. Oui, mais non. Dans le bien nommé Les Racines du Rock, le journaliste Florent Mazzoleni nous raconte l'histoire, pas si récente et mouvementée, de la genèse du mouvement, ses pionniers, les avancées et les obstacles rencontrés dans une Amérique où Noirs et Blancs ne se mélangeaient guère. Ultra documenté, poignant et magnifiquement illustré, cet ouvrage est une belle idée de cadeau de fin d'année pour tous les chevelus (et leurs ainés déplumés...)
 
On ne peut parler des racines du rock sans évoquer le boogie woogie, le swing, le blues, le bluegrass et tant d'autres mouvements musicaux nés entre les années 20 et 40. Etais-tu familier de ces genres musicaux avant d'entreprendre un tel chantier ?
Oui, tout à fait. J’ai toujours affectionné les musiques sudistes et, par conséquent, le blues et la country m’étaient familiers comme genres musicaux. J’ai réalisé des reportages dans les Appalaches et à Nashville sur ces musiques-là. Des artistes comme Will Oldham ou Dan Penn m’ont également ouvert certaines portes country. Je suis bien sûr passionné par La Nouvelle-Orléans et son histoire culturelle, grâce notamment à Alex Chilton. La Nouvelle-Orléans est à juste titre considérée comme étant la base rythmique de la musique populaire américaine. Port ouvert sur la Caraïbe et en particulier proche d’une ville aussi foisonnante musicalement que La Havane, la ville a catalysé et brassé des talents inouïs, tout au long du dix-neuvième siècle, avant de donner naissance au jazz. Ce style a ensuite essaimé, via le Mississippi, partout en Amérique, influençant aussi bien le blues, la country, le gospel ou le rhythm’n’blues, avant que tous ces courants ne donnent naissance au rock’n’roll.


Les musiciens évoqués dans le livre, les connaissais-tu avant d'entamer l'écriture ? Comment les as-tu découverts ?

L’idée des Racines du Rock a pris forme à la fin de l’année 2006, lorsque j’ai été appelé par la Fondation Cartier afin de contribuer à l’exposition Rock’n’Roll 39-59 qui a eu lieu au cours de l’été 2007. En démêlant progressivement cet écheveau des musiques noires et en remontant le fleuve Mississippi, j’ai pu découvrir une culture musicale très riche, là encore ancrée dans le terroir fertile du Sud des Etats-Unis. A partir des années 1920 et de la généralisation du format 78 tours, toutes ces musiques agrariennes se sont répandues un peu partout sur le territoire américain, avant de conquérir l’étranger. Elles se sont ensuite électrifiées au contact des villes, puis les radios les ont abondamment diffusées, favorisant leur acceptation par un public plus large.


Les enregistrements, qui ont fait l'objet d'une sortie discographique, sais-tu s'ils ont été depuis réédités, au moins en partie ?
Oui, toute cette musique américaine des années 1920, 1930 et 1940 a fait depuis longtemps l’objet de centaines de rééditions sur de nombreux labels, un peu partout dans le monde. Certains labels spécialisés dans le jazz, le blues et le rhythm’n’blues comme Classics comptent déjà plus de mille références à leur actif. Cela illustre l’importance de ces racines et d’une matrice rock’n’roll commune ayant pris corps en grande partie à La Nouvelle-Orléans.

Durant les prestations de T-Bone Walker (un des tout premiers à jouer de la guitare électrique), le public balançait bracelets, pièces de monnaie ou petites culottes... Ces réactions étaient-elles dues à l'amplification des instruments, à la virtuosité du musicien, à un mélange des deux... ? Elvis Presley n'a rien inventé, non... ?
Elvis n’a certes rien inventé, mais il n’en demeure pas moins une porte d’entrée fascinante. Je lui consacre un assez long passage dans cet ouvrage, ainsi que dans mon livre Memphis, aux racines du rock et de la soul, car il a tout de même servi de Cheval de Troie pour que toute cette culture musicale noire apparaisse au grand jour, d’abord aux Etats-Unis, puis partout dans le monde. En dépit de tout ce qu’on peut penser de lui, Elvis n’a jamais renié ses influences gospel, blues et rhythm’n’blues, des influences qui forment en grande partie le rock’n’roll. A la fois virtuoses et exubérants, des artistes aussi importants que les guitariste T-Bone Walker, Elmore James ou Muddy Waters mais aussi le saxophoniste Louis Jordan ou les chanteurs Wynonie Harris ou Roy Brown ont posé les bases d’une musique unique qu’Elvis a popularisé auprès du grand public.
 

T-Bone Walker © Collection Gilles Pétard

 

A la lecture des Racines du Rock, on se rend compte à quel point le rock prend sa source aux Etats-Unis d'Amérique, et nulle part ailleurs.Aujourd'hui, on joue du rock partout. Penses-tu que le rock'n'roll aurait pu voir le jour dans un autre endroit du monde ?
Non, car les années 1940 et 1950 aux Etats-Unis réunissent des conditions exceptionnelles. L’extrême tension raciale, les évolutions techniques et la prospérité soudaine des années d’après-guerre sont autant d’éléments qui ont fait que le rock’n’roll n’aurait pu naître qu’aux Etats-Unis. La naissance d’une classe moyenne, des teenagers, du format 45 tours et l’apparition du transistor n’ont fait qu’accentuer cette révolution.

On peut supposer que les pionniers des années 30 et 40 sont arrivés jusqu'aux oreilles des Anglais et peut-être même des Australiens ? Qu'en était-il de la France ? Avions-nous accès à ces musiques d'Outre-Atlantique ?
En France, le jazz et le gospel étaient très prisés, même auprès d’un public plus large. Il ne faut pas oublier que des pionniers français comme Jacques Demêtre sont partis enquêter très jeunes sur le blues à Chicago ou à Detroit, découvrant des artistes comme John Lee Hooker, avant même que ceux-ci ne soient connus du public américain. La curiosité et une plus grande ouverture d’esprit vis-à-vis des artistes noirs ont facilité l’acceptation du rock’n’roll et du rhythm’n’blues au cours des années 1950. Nous étions un peu moins en avance que les Anglais dans ce processus de découverte, mais les nombreux pressages français de cette époque attestent d’une diffusion assez conséquente, même si les ventes n’étaient pas non plus remarquables.


A plusieurs reprises, tu évoques les classements hillbilly. De quoi s'agit-il au juste ?
Le terme hillbilly caractérise les populations blanches, pauvres et rurales issues du Sud des Etats-Unis, littéralement « les gars des collines », un paysage que l’on retrouve dans le Piedmont appalachien, dans le Tennessee, en Alabama, en Géorgie, en Caroline du Nord ou en Virginie, mais aussi au Texas ou en Louisiane. Bob Wills, les Delmore Brothers, Bill Monroe, sans oublier Jimmie Rodgers et bien sûr le grand Hank Williams, incarnent à merveille cette musique hillbilly qui n’est ni plus ni moins qu’un autre nom de la musique country.

A la fin des années 40, les labels indépendants font leur apparition. Moins frileux que les majors, ils s'intéressent aux nouveaux supports (33 et 45 tours), et signent de jeunes musiciens novateurs. Finalement, ce sont toujours les mêmes qui prennent des risques... ?
Au cours de la seconde moitié des années 1940, l’absence de prise en compte des majors pour le marché noir ne fait qu’accentuer une prise de risque un peu partout dans le pays. Certains labels comme King à Cincinnati, Duke/Peacock à Houston, Chess à Chicago, Sun Records à Memphis, Atlantic à New York, mais aussi de nombreux labels de Los Angeles comme Specialty, Aladdin, Imperial ou Modern, documentent alors ce qui se passe dans leur ville, puis rapidement à l’échelle de tout le pays. Ils dépassent rapidement le seul marché des « race records » destiné au public noir. ll ne faut pas oublier que même sur les petits labels, s’ils étaient passionnés, les producteurs étaient avant tout des entrepreneurs. L’élément capitaliste demeure très important dans toute cette histoire.


L'arrivée du transistor, des juke-boxes mais aussi des magazines pour adolescents dans les années 50 ont bouleversé la diffusion de la musique (et sa consommation). Les ados sont devenus des fans en puissance et les musiciens, des pop stars. On s’en serait douté, mais sans les ados, point de rock'n'roll ?
Oui, il s’agit véritablement de la première grande révolution adolescente du vingtième siècle, mais aussi de l’un des plus grands chocs culturels de notre histoire occidentale récente. L’émergence du hip hop à la fin des années 1970, via le rap et le graffiti est une autre des ces révolutions adolescentes qui a contribué à changer le monde dans lequel nous vivons, du moins son image.


Hormis quelques figures importantes, tels Benny Goodman ou plus tard Hank Williams, qui ont oeuvré et apporté leur pierre à l'édifice, la grande majorité des musiciens à l'origine du rock est afro-américaine. Comment expliques-tu que leurs descendants les plus fameux, de la fin des sixties jusqu'à aujourd'hui, s'en soient éloignés, pour s'illustrer - avec talent - dans des courants rhythm'n'blues, soul, funk, etc. ?
Il s’agit d’une autre partie de l’expression musicale noire, encore plus authentique, la soul étant à juste titre « la musique de l’âme » où les émotions et les vibrations sont encore plus vraies que dans le rhythm’n’blues et le rock’n’roll originels. Les artistes dont je parle dans Les Racines du Rock sont à 80% noirs. Avec des rois noirs du rock’n’roll d’une classe universelle comme Chuck Berry, Bo Diddley, Little Richard ou Larry Williams que rajouter de plus ? Encore aujourd’hui, leur apport reste inégalé. Il y a eu par la suite d’autres rockers noirs talentueux, des Bad Brains à Barrence Whitfield. Aucun musicien actuel, noir ou blanc, n’arrive cependant à la cheville de ces rois noirs du rock’n’roll. Les explorations sonores suivantes dans des registres variés comme la soul, le funk, le disco, la house ou le hip hop participent à d’autres formes du génie musical afro-américain.


Où as-tu déniché ces superbes illustrations ? A qui appartiennent-elles ? Comment s'est déroulé la sélection ?
Depuis mon livre James Brown, l’Amérique noire, la soul et le funk paru en 2005, je travaille avec Gilles Pétard, collectionneur, producteur de disques et spécialiste mondialement reconnu des musiques populaires noires. Ses disques, mais aussi ses photos, ses coupures de presse forment l’ossature de cet ouvrage. Notre travail est complémentaire. Nous sommes actuellement en train d’œuvrer sur un nouveau projet pour la fin de l’année 2010, dans le prolongement de ce que nous faisons déjà ensemble.


Les Racines du Rock se clôt par le chapitre La mort du rock'n'roll, où tu évoques entre autres le crash où Buddy Holly et Ritchie Valens ont trouvé la mort. Comment analyses-tu la suite des événements, la pop des sixties, le flower power, la relève de l'Angleterre et de l'Europe en général... ?
Les Racines du Rock représente l’avant L’Odyssée du Rock, un ouvrage que j’ai publié en 2004, réédité en 2005 et 2007, en attendant une nouvelle édition pour 2009. Présenté année par année, ce livre partait de l’année 1954 jusqu’à aujourd’hui pour offrir une vision panoramique et personnelle du rock, de ce qui a suivi ces racines du rock. Tous les mouvements, artistes majeurs et cultes y sont présents, mais aussi les albums et singles majeurs, en Amérique du Nord, en Grande-Bretagne mais aussi en France.


Avoir écrit ce livre représente, j'imagine, un travail de longue haleine et de nombreux documents et informations à digérer. As-tu ressenti des moments de creux, de renoncement ?
Non, bien au contraire, j’ai vécu cela comme une forme d’exaltation par l’écriture et aussi par l’intérêt du sujet abordé. Je travaille maintenant depuis plusieurs années autour de la question de l’Atlantique noir et des échanges culturels qui ont eu lieu entre l’Afrique, les Amériques, les Caraïbes et l’Europe. Ce livre est un nouveau jalon à rajouter à cette quête.


Cet ouvrage risque fort d'intéresser le public américain, même s'il doit exister quelques livres qui traitent sensiblement du même sujet. Une traduction est-elle envisagée ?
Le livre a été présenté au Salon du Livre de Francfort, on verra bien ce qui en découle. Il existe effectivement quelques livres sur ces origines du rock, mais très peu sont illustrés comme Les Racines du Rock.


Franck Ducourant


Les Racines du Rock de Florent Mazzoleni - Editions Hors Collection

 

Clarence "Gatemouth" Brown © Collection Gilles Pétard