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21 LOVE HOTEL
couv

© Cathimini

 

"Our hearts belong to the storm" CD (Out of the blue/PIAS)
"21 Love Hotel v/s Kid Loco" 45t (Out of the blue)
www.myspace.com/21lovehotel


                                                               Stardust memories

 

Lorsque j'ai rencontré Clémence Léauté et Fred Oberland, je les ai prévenus qu'une grande partie du lectorat d'Abus Dangereux n'avait pas encore eu l'occasion de lire quoi que ce soit sur 21 Love Hotel, à part la chronique que j'ai déjà faite de leur EP (enfin en distribution PIAS) dans la face 105. Réaction immédiate de Clémence : "On n'a donc pas le droit de dire que des conneries, il faut donner quelques informations." Mais comment ne pas avoir envie de broder, de rajouter quelques petites étoiles ici et là à une aventure qui ressemble vraiment à un conte de fée ? Si vous regardez bien les deux protagonistes de l'affaire, n'ont il pas l'air de deux personnages échappés d'une fiction ? Elle, avec son sourire d'ange espiègle et lui, le sourcil mystérieux caché sous son chapeau. Ne pense-t-on pas à une sorte de Bonnie and Clyde qui auraient choisi la musique plutôt que le crime pour nous voler notre cœur ?

Comment s'est construit le 21 Love Hotel que l'on connait aujourd'hui ?
Fred : Je viens du cinéma expérimental et de la musique décalée, du free jazz à la noise pour faire court. Je fais des bandes son et des musiques de film. C'est là dedans que je me suis épanoui. Mais j'avais ce désir de folk depuis très longtemps que je gardais pour moi, un peu secret. Et quand j'ai rencontré Clémence, même si à l'époque elle chantait des groupes de free jazz et qu'on a commencé à expérimenter comme ça…
Clémence : C'était tellement free que j'y ai perdu deux cordes vocales.


F :…donc quand on s'est rencontrés, c'est ça qui est sorti spontanément. C'était très chouette pour moi car je n'avais pas eu l'occasion de développer un projet stable, Clémence non plus. C'est donc comme si chacun avait muri chacun de son côté pendant un certain temps et que la rencontre faisait que ça pouvait exister. On composait du coup les premières chansons en deux heures.

C : C'est vraiment comme si j'avais couru longtemps après mes mains pour pouvoir jouer de la guitare et Fred avait fait le tour de la planète pour trouver sa voix. Et donc quand on s'est trouvés, c'est comme deux personnes qui se seraient recollées pour faire "Bzit". Ca s'est construit très simplement à deux dans une petite pièce où nous nous sommes enfermés joyeusement, il y a 3 ans. On a enregistré 4 chansons et à partir de là on a commencé à faire des concerts. Au début, nous avons enregistré plein d'instruments et les avons bidouillés sur 50 000 pistes de logicaudio pour que ça tienne. Ca fonctionnait en vase clos avec plein de bordel autour de nous. Le EP est le témoin de ce premier travail.

F : Le but premier était juste de faire de la musique ensemble. Au départ, on ne voulait même pas faire de concerts. On en a même refusé trois ou quatre. Et puis un jour un de nos amis nous a booké un truc à l'OPA sans nous demander notre avis. On ne voulait pas de samplers, on ne voulait pas d'électronique. Tout a été enregistré soit ensemble, soit séparément, mais à l'ancienne. On travaillait déjà un peu avec le batteur Stan Grimbert, qui compose pour un quatuor de musique classique/contemporaine et joue quelques percussions sur le EP. On a donc recruté un contre bassiste de musique improvisée et un violoncelliste allemand de formation classique.

C : On a fait exprès de chercher des gars qui venaient d'univers musicaux éloignés du nôtre, car on voulait que la scène ne ressemble pas du tout au EP. On savait bien que ça ne tiendrait pas. Finalement nous avons évolué avec des musiciens que nous connaissions mieux : Dave le guitariste dont on apprécie le travail avec Heligoland, Mitch le contre bassiste , qui avait joué avec Stan dans un projet jazz, mais qui vient du hardcore. Maintenant l'équilibre est parfait.

F : En fait on a eu la chance avec ce premier concert ,qui n'était pas extraordinaire, d'avoir dans le public Benoit, qui est devenu notre manager, Vinciane, photographe émérite du Cargo et d'ailleurs, des programmateurs et plein de gens qui ont commencé à suivre le projet  et nous ont revus régulièrement par la suite. Quand on est sortis de scène, on était dégouttés, alors que les gens étaient vraiment contents. Du coup on s'est enfermés pendant deux mois à répéter comme des tarés tout le temps, à être le plus précis possible pour que le set suivant soit à la hauteur de nos attentes et de celles des gens. Ca nous a permis d'évacuer la pression du live, de gagner en spontanéité et en énergie, de devenir un groupe de scène. Ce qui nous a permis dès notre 3ème concert d'avoir accès au Divan du Monde.

C : Finalement 21, c'est une gentille petite fée qui s'est penchée sur notre chambre. On a créé notre page Myspace, parce qu'on était trop nuls pour faire un site internet. On voulait juste partager notre musique avec nos amis et voilà plein de gens qui viennent nous visiter pour nous faire jouer pour RFI, Le Divan du Monde, La Fleche d'Or... Dès la première semaine, on a eu plein de retours positifs… La chance que nous avons eue, c'est d'être soutenus par plein d'artistes. Par exemple, Robert Wyatt nous a dit : "j'adore votre musique et venez chez moi quand vous voulez. " John Parish nous a dit : "je joue avec vous, on s'arrange quand vous voulez. " Ca nous a encouragés à continuer à composer et à travailler en marge. Ca nous a ouvert des portes sans qu'on soit obligés de passer par les circuits traditionnels : pas de subvention, pas de concours…

 

© Cathimini

 

Clémence, tu fais aussi du théâtre. Quelle a été la première de ces passions qui t'a poussée sur scène ?
C : J'ai toujours oscillé entre les deux, suivant ce qu'il m'arrivait dans le travail et les rencontres que je faisais. Au moment où j'ai rencontré Fred, je travaillais plus au théâtre parce que j'avais été déçue par les gens avec qui j'avais fait de la musique avant. Je n'avais pas de projet précis qui me tenait à cœur. On s'est retrouvés un peu comme deux animaux blessés et qui se sont dit "entre nous, on peut réussir à faire de la musique comme on a envie de faire." Donc nous l'avons fait le plus naturellement possible, sans objectif précis, sans ambition. Et c'est ainsi que c'est devenu notre projet le plus sérieux et le plus abouti. 

F : Entre les premières compositions et le premier concert, il y a eu un an de travail. Ca nous a permis d'arriver sur scène avec un répertoire de 45 minutes qui était déjà en nous. Et ça nous a permis d'aller plus vite par la suite, même si beaucoup de chansons sont parties… Beaucoup sont restées aussi ! (rires)

Pourquoi ces interludes entre les chansons ?
F : Dès le départ, ce qui nous a liés c'est l'amour de la musique et du cinéma. On réagit sur beaucoup de choses de la même manière. D'emblée nous avons enregistré des sons qu'on mettait sur nos maquettes, on gardait des fins de prises avec des choses qui trainaient, etc… Et donc très naturellement on a eu envie de rajouter des choses empruntées au cinéma, mêlées à des sons enregistrés ou créés de toutes pièces. Le EP est un voyage avec des escales. On voulait donc un lien qui soit le plus fort possible et qui nous ressemble. 
C : Le principe du disque est de livrer plus entièrement, plus concrètement les images qui pour nous accompagnent la musique. C'est une sorte de bande originale de plein de moments de notre existence, c'est pourquoi on voulait donner des cadres, des lieux. Après, chacun interprète les chansons à sa manière et y voit ce qu'il veut y voir. Et puis on avait l'idée de cette petite boîte où on serait en train de trifouiller à l'intérieur et où on inviterait les gens à nous rejoindre.

"Ennui" est le seul morceau en français du disque. A votre stade on ne peut pas parler de pression de la maison de disque pour le single radio. Donc pourquoi lui ?  
C : Maurice Maeterlinck est un poète symboliste belge du début du XXème, extrêmement important pour moi. Un ami qui avait mis en scène les textes de "Serres chaudes" souhaitait une musique pour "Ennui". Il est vrai que ce poème est somptueux et mystérieux à la fois, parce qu'on nous parle de paon du début à la fin, mais l'oiseau ne vient pas forcément à l'esprit tout de suite. Il y a une sorte de langue surréelle, aucune narration, c'est vraiment la poésie du français. Même si on n'écrit jamais en français, ça nous a inspirés et en deux heures le morceau était fait, réglé, enregistré. Et on était tellement content d'avoir réussi à déplacer notre univers dans une autre langue sans que ça donne quelque chose de trop différent, qu'on a décidé de le garder.

 

© Cathimini

 

Ton interprétation est assez exceptionnelle car tu ne changes pas de voix entre les deux langues.
C : Parce que pour moi ce n'est pas écrit en français. J'adore cette sorte de dialecte un peu incantatoire. La première fois que mon ami m'a parlé de cette histoire de paons, je n'ai pas du tout compris de quoi il était question. J'ai essayé de garder par la suite cette innocence par rapport aux mots : réveil, soleil, attendre, indolent. Je voulais juste retenir ça, ne pas faire des phrases qui veulent dire quelque chose. Je l'ai chanté comme si je l'avais fredonné en yaourt.
F : Ce morceau est l'un des rares qui a commencé par un texte qui n'est pas de nous et a amené une ligne de voix. Clémence est arrivée et m'a chanté la chanson sur un métronome. On a gardé le métronome et on a construit autour.

Le clip d'animation qui l'accompagne est superbe.  
F : Hasard d'une rencontre d'un gars qui nous dit: "Je voudrais faire un clip sur votre musique". Avec Clémence, on était un peu réticents; on est toujours méfiants quand on nous propose quelque chose. Mais bon, on le rencontre, il nous plait bien et on lui demande quel morceau il voudrait illustrer. Et s'il y a bien un morceau auquel on n'avait pas pensé, c'est bien "Ennui". Donc on lui a donné carte blanche.Ca a pris très longtemps : il nous montrait des trucs, il disparaissait, revenait avec une ébauche qui n'avait rien avec le truc précédent. Finalement au bout de sept mois et demi, il est revenu et là il nous a montré le clip terminé et on a été scotchés. Kid Loco a vu le clip et du coup il lui a demandé d'en faire un pour le single de son dernier album.


C'est comme ça que vous l'avez rencontré ?
F : Benoit connaissait Jean Yves de l'époque de Cornu, et il lui a fait écouter une démo. Le soir même, il l'a rappelé en lui disant qu'il aimerait bien bosser sur un de nos morceaux.
C : Il est venu nous voir sur scène pour se rendre compte comment on sonnait en vrai, comment ça jouait. A la fin du concert, il avait une idée très juste de ce qu'il voulait faire. Il adonc commencé par "The Ballad of Loreley" qui est la face B du 45t.
F : On a beaucoup travaillé avec lui et on s'est très bien entendu musicalement. Il prend des pistes, fait ce qu'il veut et après on en parle. C'est un bel exemple d'échange car il est toujours à l'écoute de nos propositions, tout en étant à cheval sur ses propres principes. Il a apporté des choses auxquelles on n'aurait jamais pensé. Et on était tellement contents, que du coup on a décidé d'en faire un deuxième. Il a dit: "banco, je ne vous demande pas d'argent, je veux juste que ça sorte !" Il a commencé à travailler sur "Lonely lady" et nous a fait écouter une version avec des cuivres. Ca nous a donné envie d'un solo de trompette et donc nous avons contacté le trompettiste des Jack the Ripper, on a refait des prises et voilà.

C'est avec lui que vous allez enregistrer THE album ?
C : On n'est pas du genre pressés. Il faut que les choses viennent taper à notre porte pour qu'on ouvre! C'est vrai qu'on a pas mal de morceaux qu'il va bien falloir enregistrer. Avec 21 Love Hotel, on a eu jusqu'ici l'immense chance de pouvoir faire les choses bien. Ainsi cet EP qui nous tenait à cœur est distribué par PIAS avec une belle promo. Nous avons pu inviter dans notre carte blanche au Divan du Monde des gens comme John Parish que nous adorons… pour l'instant nous n'avons pas eu d'opportunité suffisante pour enregistrer correctement. Nous n'avons pas envie de le faire cette fois-ci avec trois bouts de ficelle. Et en plus, on a plein d'idées que nous aimerions pouvoir explorer. C'est le projet de l'année.
F : Pour l'instant on a toujours tout contrôlé, puisque on a créé notre propre label "Out of the blue". A terme, même si on choisit un producteur, on veut pouvoir donner notre avis à toutes les étapes de fabrication, être contents du produit final. On ne veut pas faire de concessions sur le son, le choix des morceaux, l'artwork…

Justement l'image est très importante pour vous : costumes, photo, homogénéité du groupe sur scène. Comment avez-vous travaillé tout ça ?
C : En fait on a eu l'idée un jour où on était à Rome, dans une chambre d'hôtel de poser notre vieil appareil argentique sur la commode. On a mis le retardateur et on s'est mis sur le lit. Voilà, l'univers de 21 Love Hotel était né ! Tout après n'a été que la déclinaison de l'atmosphère de cette photo qui s'est imposée comme une évidence. On a invité les autres membres du groupe à jouer avec nous. Ils sont entrés dans ce lieu dont on parlait au début, ils se  sont assis sur le canapé et ont vu tous les mêmes murs, les mêmes images. On ne pouvait qu'évoluer dans les mêmes envies.
F : Le chapeau, je le porte aussi dans la vie de tous les jours !
L'idée du clip de "Lonely Lady" est plus décalée : la voiture américaine, les routes désertiques ?
F : Le réalisateur du clip est venu nous voir plusieurs fois en concert et nous tannait depuis un certain temps pour tourner ave nous. Donc on a accepté pour la version Kid Loco de On l'a très précisément aiguillé sur ce qu'on voulait et tout a été retranscrit fidèlement : le piano, le désert, les chevaux…
C : N'oublie pas que 21 Love Hotel est un lieu qui va se déplacer, parce que la musique et les ambiances invitent au voyage, aux traversées.


Prochaine escale : une participation à l'album des Fitzcarraldo Sessions que les musiciens de Jack The Ripper sont en train d'enregistrer avec des chanteurs choisis aux quatre coins de leur monde. Belle promesse encore, non ?

 

Cathimini

 

© Cathimini