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JEAN-CLAUDE VANNIER
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Photo © Veronique Antoine

 

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                             Jean-Claude Vannier à La Cité de la Musique à Paris le 22-23/10/08

           « La nuit, je rêve de musique »

C’est à l'occasion de l'exposition "Gainsbourg 2008" et dans le cadre du cycle des concerts inaugurés par notamment Blonde Redhead et Jane Birkin, (Daniel Darc et John Zorn à venir en février), que furent programmées deux soirées exceptionnelles avec Jean-Claude Vannier. Oui exceptionnelles, car pour la première fois en France étaient joués en intégralité l'album culte "Histoire de Melody Nelson" et l'étonnant "L'Enfant Assassin des Mouches" (1).

 

  



Petit rappel : Jean-Claude Vannier était l'arrangeur et orchestrateur de ce chef d'œuvre intemporel, avec sa magnifique pochette qui en a fait fantasmer plus d'un(e). On y voit Jane Birkin torse nu et en jean moulant, une peluche blottie entre ses bras. La collaboration entre Gainsbourg et Vannier (alors âgé de 25 ans) continuera sur les BO de "Slogan", "Cannabis", "La Horse" et sur l'album de Jane Birkin "Di Doo Dah". Mais revenons à 2008 !


Le programme de la soirée donne l'eau à la bouche. Les deux albums seront interprétés par l'orchestre des Concerts Lamoureux, le Jeune Chœur de Paris, de nombreux musiciens pop/jazz/rock avec notamment le bassiste Herbie Flowers présent sur l'album "Melody Nelson" (il a aussi joué avec David Bowie et Lou Reed), et des invités de marque tels Daniel Darc, Brigitte Fontaine, Mathieu Amalric, Martina Topley Bird, Brian Molko, Alain Chamfort. Dans la salle la pression monte. L'impatience, l'émotion  d'assister à un grand moment se fait sentir. Extinction des lumières, les musiciens s'installent (ça prend 5 minutes). L'arrivée du maestro Vannier est saluée par une véritable ovation. Il fait une petite bafouille pour présenter la première partie "Bis" constituée de chutes, de fragments de musiques et de chansons interprétées en solo. JC Vannier les surnomme "saucissons", comme pour signifier qu'ils sont sans importance, mais que malgré tout, ils apportent beaucoup dans sa création. L'interprétation de ces titres est magnifique, même si les morceaux chantés sont un peu plus faibles. JC Vannier jongle entre le poste de chef d'orchestre, celui de pianiste et de chanteur. Par instants, le son nous transporte vers les rêves qui donneront naissance plus tard à "Melody Nelson". Soit ce côté sixties pop qui se fait sentir à travers les chœurs et les violons. On commence déjà à avoir la chair de poule, tellement la musique est belle.

Vient ensuite l'interprétation de l'album "L'Enfant assassin des mouches" sur lequel Gainsbourg a écrit en une nuit 20 lignes. Ce sont elles qui donnent un sens, une histoire à la musique de Vannier qui est dans l'ensemble plutôt expérimentale, à part sur quelques titres comme "Danse des mouches noires gardes du roi" ou "Danse de l'enfant et du roi des mouches". Elle flirte même avec la musique contemporaine. Le bruitiste Michel Musseau, malgré son air très appliqué, donnera un côté burlesque à cette partie du concert en jouant avec des poêles, du sable, de l'eau, un mixeur de cuisine et plein d'autres outils du quotidien. Les chœurs en rajoutent en tapant avec une cuillère sur une tasse ou en appuyant sur un spray. Dans le titre de l'œuvre il y a "enfant": ce rôle est tenu par le jeune comédien Marcel Valty, très à l'aise sur la scène. Le temps d'un morceau, il prendra même la place de chef d'orchestre. Au final toute la durée de cette représentation aura été ponctuée de surprises, qu'il serait trop long à énumérer ici.


Entracte de 20 minutes, et place à l'instant que tout le monde attend: "Histoire de Melody Nelson", dont chaque morceau est interprété par un chanteur ou un acteur différent. La musique sera jouée note pour note comme sur l’album. Mais voir et entendre l’orchestre et les chœurs interpréter ce classique est un pur régal. Là dessus la guitare électrique, la basse et la batterie forment un effet "nostalgique" irrésistible. "Mélodie", le premier morceau est lu par Mathieu Amalric, incroyablement sobre. Un peu à côté de ses pompes ? Ca doit être l'émotion. Arrive ensuite la jolie Martina Topley Bird, vêtue d'une robe de fée couleur rouge. Brian Molko de Placebo lui donne la réplique sur "Ballade de Melody Nelson" et semble être sous le charme de Martina. Comment lui résister quand elle chante l'unique réplique "Melodie Nelson" avec son accent anglais ? Vient ensuite Brigitte Fontaine habillée de noir pour chanter de sa voix rocailleuse "Valse de Melody". Il y a pas mal d'admirateurs de la dame dans le public qui se font remarquer. Daniel Darc vient ensuite interpréter "Ah! Melody", dans un style très… Darc. Il regarde bien le chef d'orchestre pour être en accord avec les musiciens, mais ne peut s'empêcher de sourire. Ce rôle doit lui sembler un peu étrange, mais il assure. Classieux et installé sur un piano (où une japonaise jouera trois notes, mais quelles notes!), Alain Chamfort chante "L'Hôtel Particulier", mais sans grande conviction. Pourtant lui, il est le seul a avoir côtoyé Gainsbourg de près. Puis arrive vêtue d'une jolie robe rose, la pétillante cantatrice japonaise Seaming To, qui pousse des petits cris sur "En Melody". C'est troublant et ça donne des frissons! Mathieu Amalric revient pour le fameux "Cargo Culte" (repris par de nombreux artistes comme Mirwais, Portishead) en duo avec l'actrice Clotilde Hesme installée sur scène parmi les choristes. La rencontre de ces deux comédiens est magnifique.

Certes on est bien loin du long clip psychédélique de Jean Christophe Averty, mais au final le public est aux anges. Le choix des artistes a été bien pensé. Et que dire du défi relevé par JC Vannier : diriger pendant trois heures tout ce beau monde venu d'univers différents, soit 100 personnes sur scène, avec humilité et décontraction ! Voir ainsi en ligne, main dans la main tous les chanteurs de Melody Nelson, est un moment de bonheur partagé avec le public qui leur réserve une standing ovation de 15 bonnes minutes.

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Vous l'aurez compris, votre serviteur a eu beaucoup de mal à se remettre de ce moment d'émotion unique. C'est pourquoi deux jours plus tard, je me retrouvais à la Cité de la Musique pour assister à la rencontre animée par Stéphane Lerouge, concepteur de la collection "Ecoutez le cinéma!" chez Universal Jazz (voir l'interview dans Abus Dangereux face 82). Voici en bonus quelques petites phrases de Jean-Claude Vannier que j'ai eu envie de vous faire partager:

"Contrairement à Nescafé, je ne suis pas soluble. Je ne veux pas et je ne sais pas me plier aux exigences des chanteurs ou réalisateurs. Je ne veux pas être un valet de chambre au service du metteur en scène. Je ne sais faire que mon truc à moi.[…] J'ai des défauts que d'autres n'ont pas. On attend que je sois particulier et c'est pour cela qu'on m'appelle, c'est pour ma différence, ma singularité. […] Dans un projet j’ai besoin d’une grande confiance, d’avoir carte blanche".

"J'aime casser le public, lui donner de l'émotion à ma façon."

"J'aime arriver en studio, et avoir le trac".

 "J’aime jouer des sons faux, l’idée de manque, de silence. […] Il faut s’arracher des études. La technique n’est pas formatée ".

"J'aime mélanger les instruments, les sortir de leur emploi, comme les cloches de vaches que j'ai utilisées pour "La Horse".

"Avec Serge, on rigolait beaucoup, on travaillait peu. On adorait écouter Sinatra. Je suis resté ami avec lui jusqu’à la fin".

Et la plus belle formule pour conclure cette chronique : "La nuit je rêve de musique" !

Paskal Larsen

(1)- La précédente représentation a eu lieu à Londres en 2006 avec l’orchestre de la BBC et Javis Cocker de Pulp. L’idée de rejouer ces albums vient d’Angleterre.