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JOHAN ASHERTON
couv

 Actualité discographique :

• Trystero's empire CD (Comotion / M10)

• Phantastes CD (Captain Trip / import)

• Diary of a perfumed clown CD (Captain Trip / import)

• Impossible light EP (442ème rue)

Bibliographie :

• Cendres amères

• Marc Bolan & T.Rex, hitoire d'un garçon du XXe siècle

• Un prince de fumée


 L'interview parue dans Abus Dangereux (face 77) est un extrait d'une longue discussion avec Johan Asherton où nous avons parlé de tant de choses qu'il n'était pas possible de tout imprimer. Le thème des 15 ans de carrière primant sur l'actualité, il semblait indispensable pourtant de revenir avec plus de précision sur ses derniers disques : Trystero's empire, Phantastes, et Diary of a perfumed clown enfin disponibles en France depuis quelques semaines.

On retrouve une fois de plus Patrick Chevalot à la production de Trystero's Empire.
Johan Asherton : Je l'ai rencontré en tant qu'ingénieur du son pour l'enregistrement de mon premier 45t en 1981. Nous sommes devenus amis très rapidement en s'échangeant des tas de trucs. Il a une collection de disques assez impressionnante. Il est toujours en train de fouiller, d'acheter, de me faire découvrir de nouvelles choses… et vice versa. Il a pu aussi contacter un certain nombre de musiciens qui sont venus sur mes albums auxquels je n'aurais jamais eu accès tout seul. Il est devenu plus qu'un ingé son, c'est un véritable producteur. A part Bluesologyque j'ai enregistré chez moi, tout seul, il a été de tous mes disques. Même s'il y a quelques points de vue qui divergent, il sait exactement ce que je veux ou ce que je ne veux pas sans que j'ai besoin de m'expliquer. On s'amuse beaucoup en général. Et puis sur Trystero's Empire, il y a ses enfants : David qui est batteur et Marie qui fait des chœurs depuis The Night Forlorn. Depuis le début il y a eu une sympathie, une amitié qui s'est creusée au fil du temps et maintenant c'est une affaire de famille ! [rires]

Justement sur ce nouvel album, il y a plus de chœurs féminins et les textes parlent de vrais personnages féminins comme Elizabeth, Carlotta et d'autres sans nom mais avec beaucoup de relief.
JA : Sur tous mes albums on trouve des personnages féminins. Les femmes sont des sources d'inspiration très profondes pour moi. Sur le dernier album, les portraits sont peut être plus précis, en même temps ils sont quasiment tous inspirés par la même personne. Trystero's Empire est inspiré essentiellement par le mouvement pré-Raphaélite (une période en peinture du XIXe siècle) Ce mouvement a été mené par Gabriel Rossetti d'origine italienne et vivant à Londres. Sa femme, Elizabeth Sydal, était également peintre et poète et lui a inspiré pas mal de tableaux. J'ai étudié leur vie et ces personnages m'ont inspiré plusieurs chansons comme "Elizabeth, dreaming in the sun". De même "P.R.B" (pour Pre-Raphaelit Brotherhood) est la signature des œuvres collectives du mouvement pré-raphaélite. Quand ils ont monté ce collectif d'artistes, ils avaient décidé que les toiles ne devaient pas être signées individuellement.

D'ailleurs pourquoi avoir appelé des chansons aussi différentes "PRB part 1" et "PRB part2". L'une est plutôt jazz alors que l'autre est carrément d'inspiration folk irlandais avec flûte et tambourin.
JA : Mais le thème du texte est identique. "PRB II" est plus anglo-irlandaise parce que Elizabeth Sydal était anglaise. Mais la différence n'est qu'au niveau des arrangements.

Justement qui décide des arrangements : classiques, rock, voire assez exotique sur deux morceaux de cet album avec du sitar et des tablas. Est ce que tu as déjà des idées au moment de l'écriture ou est ce qu'elles sont plutôt amenées par le producteur en studio ?
JA : Chacun amène sa participation. Le sitar n'était pas du tout prévu au départ. Il se trouve que JJ Barbette, le joueur de tablas est venu enregistrer "Soliloquy for two" et m'a dit qu'il avait un ami qui jouait du tampura. Il m'a proposé de le faire venir et de voir si on pouvait utiliser cet instrument sur une chanson. Du coup, Patrick et moi avons réfléchi et avons pensé à "Seer". Nous l'avons accordé d'une manière un peu spéciale et c'est comme ça qu'il se trouve à faire l'intro du disque avec cet arpège bourdonnant. Il y a d'autres morceaux qui sont évidents. "Master of strokes" ou "Carlotta" avaient des rythmiques basiquement rock donc la question ne se posait même pas. On savait comment elles allaient sonner et ça ne pouvait pas être autrement. D'emblée au moment où j'écris, où je réécoute une chanson, je sens qu'il y a une rythmique jazz qui s'impose. Mais en même temps ce sont les mêmes musiciens qui vont jouer rock et jazz. Pour les cordes, ça se décide comme ça. On amène la chanson et un type d'arrangement va être puisé dans la discothèque de référence de base entre Nick Drake et Scott Walker. De là, l'arrangeur va s'inspirer de ce qu'il écoute. C'est souvent un travail collectif, les choses se font sur le tas. C'est pourquoi mes albums sont souvent faits sur une longue période (God's clown, The night Forlorn ou Under the weather) et aussi parce que je n'ai pas de limite de temps. On a donc la possibilité de s'arrêter assez longtemps, de réécouter des trucs, de se dire :"finalement c'est pas terrible, on va tout refaire."

On retrouve une chorale d'enfants sur deux morceaux deTrystero's Empire. Comment sont ils arrivés dans ton univers ?
JA : J'ai réécouté une chanson de Leonard Cohen sur Songs of love and hate où il y avait un chœur d'enfants qui me plaisait beaucoup. J'ai envoyé deux-trois maquettes à Patrick qui m'a renvoyé un papier avec deux-trois idées. J'avais évoqué cette idée de chœurs d'enfants. Il en a parlé à sa femme qui lui a dit : "Mais une de mes meilleurs amies est prof de chant dans un conservatoire d'arrondissement, posons lui la question !" Et cette amie avait une douzaine d'enfants entre 10 et 12 ans, qui avaient travaillé un peu l'anglais. On a organisé une séance pour les enfants et voilà. Ils étaient très pro, ils ont passé un peu de temps à répéter les noms anglais qu'ils devaient prononcer et tout s'est très bien passé.

Il y a en plus de Marie Chevalot un certain Christophe J qui chante avec toi sur "Alive in the sky". Est ce le même que celui qui a écrit "Sons of Waterloo" dans le début des années 80 ?
JA : Oui. On s'est rencontrés il y a quelques années et nous avons pas mal accroché au point qu'au moment d'Under the Weather il me rejoignait sur scène pour jouer de la basse, faire une deuxième voix. Il m'a présenté Jean Jacques qui joue des tablas. Le problème de Christophe, c'est qu'il est extrêmement doué. Il continue à écrire des chansons superbes. Mais son travail l'amène à voyager beaucoup dans le monde et donc il met la musique de côté et c'est dommage. Je crois qu'il n'a pas le temps ni l'esprit pour faire les démarches nécessaires à la sortie d'un album alors que les chansons sont prêtes et qu'elles sont à tomber par terre !

Parle-nous de Phantastes que tu as enregistré en 1994 et qui n'est sorti qu'au Japon. (un album aux influences psychédéliques évidentes, bourré de chœurs et de doubles voix, tout en privilégiant la simplicité de l'acoustique, des percussions et d'un petit synthé. On ne peut s'empêcher à Syd Barret NDLA)
JA : C'est une suite de poèmes d'un écrivain écossais du début du siècle dernier qui s'appelle George McDonald. Phantastes est une histoire à la Tolkien , avec des mondes parallèles et dans ce livre il y a une suite de poèmes dont l'un avait été mis en musique par Mike Scott dans Room to Room des Waterboys. C'est par cet album que j'ai découvert le livre. J'ai repris mes racines T Rex et je me suis amusé à mettre en musique ces poèmes dans un esprit très folk, assez proche de God's Clown. Je n'avais pas forcément l'intention de le sortir. A l'époque j'étais en plein dans l'enregistrement d'Under the weather et j'avais déjà l'idée de The moon, soon [disque entièrement acoustique aussi NDLA] donc je ne voulais pas sortir trois disques en même temps et je ne voyais pas du tout quel label ça pouvait intéresser. De temps en temps je l'écoutais et je me prenais à penser à des arrangements de cordes, une partie narrative, etc. Mais je me disais que c'était un peu délirant et j'ai terminé les deux albums, j'ai écrit un livre sur T Rex... Bref je suis passé à autre chose. Et l'an dernier je l'ai fait écouté à mon ami japonais qui travaille beaucoup pour moi là-bas, il a trouvé un label. Et voilà !

C'est quand même une rencontre assez étonnante que ce japonais !
JA : Au début de l'année 2000, j'ai été contacté par Tsuyoshi Kawasoe qui travaille comme designer et critique d'art. Tout ce qui est visuel l'intéresse. Il a beaucoup écrit pour des revues d'art, peinture, sculpture... et c'est un grand fan de musique. Il avait trouvé par internet des disques de Nikki et de moi, il l'avait contacté et je pense que c'est ainsi qu'il est remonté jusqu'à moi. Nous avons commencé à correspondre par fax. Il m'a demandé si j'étais en train de travailler sur un nouveau disque et s'il y avait des chances que ce disque sorte au Japon. Il se trouve que lui connaissait quelqu'un sur le label Taichiku et il lui a fait écouté des choses. Et c'est comme ça que Trystero's Empire est sorti à la fin 2000 au Japon ainsi qu'une compil. Ensuite Tsuyoshi s'est retrouvé à travailler sur la traduction des textes de T Rex pour une série de rééditions sur ce même label. Je lui avais envoyé pas mal de choses dont la maquette de Phantastes et comme il connaît beaucoup de monde, il a rencontré Ken Matsutani, le boss de Captain Trip qui est un label beaucoup plus pointu que Taichiku, à l'affût de trucs un peu bizarres, rares... Ils ont craqué sur ce projet-là plus les sessions alternatives de God's clownqu'ils ont pompeusement appelées Diary of a perfumed clown - The legendary "God's clown" album recording sessions et c'est comme ça que je me retrouve avec quatre albums sur le marché japonais.


Par contre quand on évoque Un prince de fumée paru aux Editions Equinoxe Johan est beaucoup moins discert, voire carrément muet. Pourtant ce n'est pas le premier recueil de poèmes qu'il édite puisqu'il nous avait déjà offert en 1990Bleecker street (aujourd'hui épuisé) et en 1991 Cendres amères. La première chose que l'on remarque c'est la similitude d'inspiration entre ces textes de chanson en anglais et ses poèmes en français. La langue coule avec fluidité sans se soucier des rimes ni du sens, mais plutôt de l'image et de la musicalité des mots. L'univers d'Un prince de fumée est plus romantique que Cendres amères où le surréalisme des associations d'idées pouvait vraiment laisser dans le flou. Certains textes sont très courts comme cette rencontre fortuite avec une enfant qui laissera longtemps planer dans le silence ses quelques mots d'adulte "Il ne fait pas beau dans mon cœur" avant de tourner les talons. D'autres poèmes, plus longs, renvoient à une véritable histoire que l'on devine entre les strophes, une réflexion sur le sens de la vie et deux ou trois autres choses récurantes dans l'univers de Johan : les femmes, les anges et le mystère des vieilles demeures. Images que l'on retrouve très largement exploitées dans le visuel de Johan. Son fan-club ne s'appelle-t-il pas d'ailleurs "La vie de château" ?

Cathimini