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TRIBUTE À DOMINIQUE LABOUBÉE
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 Rouen, Exo7, 13 Mai 2003.

En fait je n'étais plus vraiment certain d'avoir envie d'y aller à ce concert... qu'allais-je y voir ? D'anciens membres des Dogs ? Toute la scène rock rouennaise vieillie de deux décennies se lamenter sur sa belle jeunesse enfuie ? Et puis les Dogs c'était Dominique avant tout et depuis ce triste octobre 2002... Mais les Dogs pour moi, comme tant d'autres, c'était rien moins que... notre histoire !

Histoire qui débute en ce qui me concerne en 79 quand – adolescents – nous enfourchions la 103 SP pour une chevauchée fantastique de 30 km à destination du mythique Melody Massacre où Eric Tandy nous conseillait "The village green preservation" ou "The twain shall meet... ". Melody Massacre qui avait produit les premiers enregistrements des Dogs par Lionnel Hermani (remember "Charlie was a good boy" ?) ; Dogs que l'on retrouvait superbement photographiés dans un bel article de Best... des héros, quoi !

Ma première rencontre avec Dominique, ce fut lors d'un concert au club Saint-Pierre (là où passaient Dr Feelgood ou Chris Bailey) pour lui demander l'autorisation d'utiliser "The most forgotten French boy" pour la bande son d'un court métrage que je réalisais alors... "Ok, super, si un jour tu fais de l'argent avec, pense à moi!". Réponse adorable de quelqu'un qui l'était tout autant et début de deux décennies de contacts toujours plus agréables constellés de splendides concerts d'une élégance rock'n'rollienne jamais égalée.

Notre dernière rencontre date d'une prestation comme d'habitude jouissive des Fleshtones lors de la tournée Solid Gold Sound où Dominique était venu offrir son dernier album live à Peter Zaremba (le dernier album des Fleshtones Do you Swing est d'ailleurs dédié à Dominique). J'en avais profité pour lui dire tout le bien que je pensais de cet excellent Short, fast and tight et, comme d'habitude touché que l'on apprécie son travail, il m'avait simplement répondu que c'était "gentil" ; voilà bien un terme qui sans aucune connotation négative lui allait comme un gant.

Non ,décidément je ne pouvais pas ne pas y aller... Direction l'Exo7 donc ; première bonne surprise : le club est plein à craquer entre autres de jeunes... Au moins évitera-t-on la réunion larmoyante de vieux aigris. Les lumières s'éteignent et la voix de Dominique retentit dans la sono : "Home is where I want to be"... Merde, les larmes viennent. L'émotion est palpable dans la salle et ça ne va pas s'arranger avec l'arrivée sur scène de Little Bob sobrement accompagné de Gilles Mallet. "La première fois que j'ai vu Dominique c'était au Rock'n'roll Christmas du Havre en 75..." et d'enchaîner sur "King of rock'n'roll", "Slave to the beat" et "Never cry about the past" écrite pour la défunte Story sur son superbe premier album solo Rendez-vous in Angel City. Never cry... mon cul, Bob ne peut retenir ses larmes et nous non plus... aïe aïe aïe... va-t-on se moucher toute la soirée ?

Non ! Voilà du divertissement : Paul Pechenart, premier guitariste des Dogs monte sur scène avec... ses enfants ! Pas trop vieilli ; la dernière fois que je l'avais vu c'était lors de son bref retour dans la formation après l'album More more more pour notamment une concert d'anthologie avec les cuivres des Rumours. Là, son groupe (ou plutôt celui de sa fille, adolescente fort gironde habillée bien court) s'appelle Capucine, sorte de mix entre rock'n'roll poussif et poses à la Britney... La gène est patente, mais bon, c'est la fille de Pechenart et ça a le mérite d'être frais. La scène est ensuite investie par Laurent Ciron – le dernier guitariste – et Rémy Gentil de Black Market pour de petites versions de "Gotta get me a gun" et "Fortune teller" sauvées par la guitare incisive de Laurent. Je mets quelques secondes à reconnaître cette femme qui s 'avance hésitante... Louise Féron, auteur avec Dominique d'un bel album produit par John Cale qui disait des ballades de Dominique qu'elles étaient de la "pure magie". S'en suit une version émouvante de "Legendary lovers" puis, ayant rappelé des propos journalistiques qualifiant leur album commun de "rencontre entre Huysmans et les Rolling Stones", une exécution de "Tombé sous le charme", le tube éphémère de 88.

Mais voilà qu'arrive derrière la batterie le profil buté de Mimi (Michel Gross). Retour donc en 73 avec Paul, Mimi et François "Zox" Camuzaux pour du rock'n'roll sauvage... New York Dolls et une reprise bienvenue du "I'm 18" d'Alice Cooper faisant écho au "Nineteen" du premier single et inspiration du fanzine éponyme. Suivent Frandol et Gene Clarksville des dédiant "Different me" à celui sans qui "les Roadrunners n'auraient peut-être pas existé.". Ca s'enchaîne vite ; une anglo-saxonne non identifiée – une fille qui a du chien me souffle mon voisin – entonne "The most forgotten French boy" avec une connotation amoureuse évidente. Victoria retourne aux origines avec un "Charly was a good boy" bien senti puis Antoine Masy-Perrier –Tony Truand – se fend d'un "M.A.D" qui lui va comme un gant. Rejoint par Mimi et Hugues Urvoy de Porzamparc on retrouve la formation des grandes années Epic/CBS. Gene Clarksville, clavier présent sur "A million ways of killing time" assure le chant pour "Back on my mind". Comme toujours un peu trop d'effets dans le chant alors que son timbre est magnifique quand il reste sobre... Hugues est lui plus calme que lors de sa dernière apparition avec le groupe dans les années 90 pour le concert parisien fêtant les rééditions CBS où il avait scotché tout le monde en prenant la scène d'assaut...

Voilà Gilles Tandy, boule de nerfs et d'émotion, "Nous sommes très fiers" lache-t-il avant d'entamer "Live with me" puis un "Walking shadows" dantesque drivé par Christian Rosset – dernier bassiste des Dogs – qui laisse exploser sa guitare flamboyante. Didier Wampas et Philippe Almosnino – lui aussi un temps guitariste additionnel des Dogs avant de remplacer Marc Police au sein des Wampas – débutent avec une ballade qui sonnerait complètement ridicule dans toute autre bouche "Non jamais je n'oublierai... Dominique". Mais là, c'est le retour des larmes... Le clou de la soirée maintenant : Dogs + Wampas + Gilles Tandy = "Fier de ne rien faire"... une folie! Didier et Gilles n'en peuvent plus et la salle trépigne... Oui, on a bien fait de venir ! Le rock'n'roll tient le haut du pavé avec "Little Johnny jet" puis le tempo se ralentit avec "When I get home" où l'on sent Mimi "vivre" la phrase "...got a feeling I was not alone...". Mais qui est ce petit bedonnant presque chauve ? Non !... Robin Wills ! Le Barracudas en chef, l'homme des Fortunate Sons, lui qui m'avait confié lors de notre dernière rencontre qu'il aimerait bien produire l'album solo en français que Dominique prévoyait périodiquement. L'autre, par contre, immanquable : Chris Wilson, pas changé d'un pouce le Flamin' Groovy... splendide ! Et vive les douze cordes pour un "Home is where I want to be" et "Slow death" d'anthologie !

On progresse dans le temps et les jeunes Césium – produits par Dominique en 98 – assènent sans complexes un bordélique et jouissif "TV eye". Des membres des Nurse et de Rouge Baiser prennent la suite avec un courageux "La belle saison" et "Sandy Sandy" dédié à Catherine, la sœur de Dominique : beau moment. En 98 avec Michel Bouloche et deux anciens Vermines – Philippe Inemer et Daniel "K.tambour" Lebaily – Dominique avait formé Chainsaw. Les voilà pour deux versions nerveuses de "Too much class for the neighborhood" et "I wanna be your dog". Décidément les Stooges sont à l'honneur, Michel est superbe. Enfin Bruno et Christian (Gloires locales, Rythmeurs, Tupelo Soul et tant d'autres) et Laurent réinvestissent la scène pour offrir la dernière et régénérée formation des Dogs : "Dreadfull time" (violent), "Today sounds like yesterday" et "Losing that girl". Laurent chante magnifiquement et est sans doute celui dont la voix évoque le plus Dominique. Antoine les rejoint pour "Whole wide world" (reprise de Wreckless Eric). Puis TOUT LE MONDE se retrouve pour un "Hey Gip" final bordélique à souhait où le plaisir l'emporte sur la qualité musicale qui n'est plus là le propos.

C'est fini, Laurent est visiblement très ému, Chris Wilson envoie au ciel un "God bless him" et mes yeux s'humidifient à nouveau à l'écriture de ces dernières lignes... Dominique, c'est sûr s'est bien amusé !

Vincent Rouen