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DOSSIER ECRITS ROCK: ITW PAUL ROLAND
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Les (vieux) lecteurs (très) fidèles d'Abus Dangereux se rappellent certainement de Paul Roland, cet icône du rock underground Anglais jugé excentrique, à l'instar d'un Robyn Hitchcock ou d'un Bevis Frond, à cause de son goût pour les histoires macabres et les personnages hors du commun.

Pendant une dizaine d'années, il a exploré divers courants, du rock garage le plus primitif (fan des Sonics) aux arrangements les plus baroques, en passant par la folk et la pop, jusqu'à ce qu'il disparaisse corps et biens dans le naufrage du label New Rose. Enfin, disparaisse… pour le public français ! Car il a continué à sortir des disques et tourner en Angleterre, en Allemagne, en Italie et en Grèce, malgré un gros creux entre 1997 et 2003, qu'il s'amuse à combler depuis, par des sorties régulières de disques généreux et des rééditions gourmandes, dont je vous invite à écouter quelques extraits sur son myspace (et sur le sampler du Abus 111).

Mais si Paul Roland est aujourd'hui à l'honneur dans notre dossier "Rock et bouquins", c'est sur la foi d'un recueil de nouvelles délicieusement horrifiques, édité en 1987. Hélas, celui qui aurait aimé devenir le Edgar Allan Poe du XXème siècle n'a jamais sorti d'autres fictions, du moins à ce jour. Par contre, il est devenu au fil des ans un critique de musique et de cinéma apprécié, puis un spécialiste de renommée internationale du paranormal, se tournant aujourd'hui vers la criminologie. Outre l'intérêt que l'on peut trouver à ses sujets de prédilection qui renvoient directement à la culture gothique, et l'étendue de ses références littéraires, on appréciera le témoignage précieux de Paul Roland sur la schizophrénie que doit entretenir un artiste doué de talents différents, mais qui doit jongler entre ses aspirations et la réalité pour nourrir son art… et sa famille.


Dans les années 80, tu enregistrais de manière régulière et tu faisais des chroniques de disques pour des magazines spécialisés. Est-ce que tes activités de journaliste nourrissaient ton imagination ou au contraire étaient une contrainte ?

Mes chroniques de films et de disques étaient des exutoires à ma compulsion de créer, quand je ne faisais pas de musique (entre 1982 et 85, puis entre 1997 et 2003). Mais écrire du non fictionnel est très différent d'écrire des chansons. J'adore écrire que ce soit des chroniques, des interviews avec d'autres artistes ou mes propres paroles et histoires. Tous sont des formes d'expression et de créativité, mais les paroles de chansons sont spéciales et me donnent une satisfaction différente. J'ai adoré écrire des articles sur la Hammer par exemple pour Kerrang au début des années 80 et plus récemment des livres sur la criminologie ("Dans l'esprit des assassins" et "Jack the Ripper"). J'ai été très fier de les voir traduits en plusieurs langues. Mais les chansons sont ce qu'il y a de plus important à mes yeux, parce qu'elles sont ma propre création. Elles sont l'expression de mon monde intérieur et de ma personnalité.

Tu as écrit deux livres sur le rock en 1999 et 2001. Dans quel but ?
J'ai adoré écrire sur un sujet qui me passionnait. "Le guide du rock et de la pop sur CD" et le très mal intitulé "Apprends par toi-même le rock et la pop" étaient deux livres que je voulais faire depuis plusieurs années pour exprimer mon opinion sur certains artistes et albums qui me tenaient à cœur. 90% des sujets correspondent à ce que je souhaitais aborder, même si l'éditeur du "guide du rock et de la pop sur CD" a insisté pour que j'écrive aussi sur des artistes pop mainstream qui ne m'intéressaient pas, pour être sûr de vendre le bouquin. Une bonne partie du plaisir d'écrire réside dans le partage de mon enthousiasme pour quelque chose avec d'autres personnes. La plupart des livres que j'ai écrits sont des idées originales. C'est pourquoi je ne les considère pas comme le fruit de mon travail, mais comme mes "enfants chéris" car ils traitent de sujets qui m'ont toujours intéressé.



Comment t'es-tu retrouvé à écrire sur le jazz ?
Au milieu des années 90, j'écrivais une double page tous les mois dans Classic CD magazine. C'est une période très riche où j'ai découvert beaucoup de styles différents, dont le jazz classique. En 1997, j'ai dû m'arrêter d'enregistrer et de tourner pour élever mes deux enfants. Alors j'ai accepté l'offre d'écrire ce livre sur des chanteurs de jazz car j'avais besoin d'argent… et parce que j'aimais vraiment le jazz à cette époque, particulièrement le "hard bop" des 60's mené par des gens comme Art Blakey. Avec le recul, je crois aussi que c'était une manière de combler le vide laissé par l'abandon de l'écriture de ma propre musique.

N'as-tu jamais été tenté d'écrire la biographie d'un de tes héros (comme Marc Bolan par exemple) ?
J'en ai écrit une à 17 ans ! Mais elle a été publiée sous un autre nom en 1982. Mais ce n'était pas très bon car il faut avouer que je n'écrivais pas très bien  à l'époque. Je n'ai trouvé mon style que bien des années plus tard.

As-tu le temps de lire d'autres écrivains/critiques comme Lester Bangs, Greil Marcus, Nick Toshes ?

Les livres sur la musique qui m'ont le plus marqué sont "Awopbopaloomop" par Nick Cohn, "Here, There and Everywhere" par Geoff Emerick, "Bowie, Bolan and the Brooklyn Boy" par Tony Visconti, "Lost In Music" par Giles Smith et "Studio Stories" par David Simons. J'aime les chroniques intelligentes ou amusantes d'albums et de films, autant qu'un bon roman. Mais tant de chroniques dans les journaux populaires sont écrites par des gens qui n'ont pas de vocabulaire, que ça en devient pénible. Mes enfants et moi essayons parfois de nous lire des passages d'articles affreusement mal écrits, en essayant de comprendre ce que le journaliste a voulu dire et de trouver les mots qu'il aurait dû utiliser. Quand je pense que les premiers magazines que j'ai lus sur la musique étaient "Let it rock" et "Cream" dans lequel Lester Bangs et quelques autres écrivaient. C'était autrement excitant ! C'est une chronique sur King Crimson qui m'a donné envie de revisiter la période Victorienne avec un quatuor à cordes. Je ne pense pas que le groupe ait fait cela lui-même, mais le journaliste suggérait qu'il aurait pu le faire ou que le morceau lui donnait cette impression. Bref, je ne me rappelle plus précisément mais ca a été un moment décisif dans mon voyage créatif. Je devais avoir 14 ans et je commençais juste à écrire des chansons. Ca m'a donné l'idée d'utiliser un disque de musique classique comme accompagnement et de chanter par-dessus. Le résultat était affreux bien sûr, mais j'aimais bien l'effet que ça rendait.

Dirais-tu qu'il existe une littérature rock et si oui, comment la définirais-tu ?

Il doit exister un sous-genre en effet avec un style et un vocabulaire particuliers qu'on peut qualifier de littérature rock dans lequel je mettrais Nick Hornby, Paul Morley, Lester Bangs et l'auteur de la meilleure biographie de tous les temps : Mark Simpson pour "Saint Morrisey". J'ajouterais la nouvelle génération d'écrivains de polars personnifiée par Ian Rankin (auteur des Rebus novels) qui singent ce style. Ils ont été élevés en écoutant du rock et en lisant du Raymond Chandler. Et n'oublions pas les journalistes "gonzo" des années 60/70, ni les jeunes vétérans du Vietnam qui ont écrit leur auobiographies comme "If I Die In A Combat Zone" par Tim O’Brian.

Je connais tes talents de conteur à la Allan Edgar Poe à travers tes chansons et tes nouvelles. Mais à part "The crimes of Jack the Ripper", je n'ai pas vu d'autres fictions dans ta bibliographie. Pourquoi ?
Attention le livre sur Jack the Ripper n'est pas un roman ! Après des années à parler de l'esprit et du corps, j'ai voulu changer de sujet et je me suis intéressé aux crimes et aux criminels. J'aimerais écrire plus de fictions, ce serait le développement logique des thèmes que j'aborde dans mes paroles. J'aime les auteurs comme MR James (maître dans l'art de raconter des histoires de fantômes), Mervin Peake (auteur du poétique "Gormenghast"), John Wyndham, H G Wells plus évidemment Conan Doyle, Poe et Lovecraft. J'ai écrit deux romans, tous deux non publiés à ce jour, et j'ai décidé de ne plus en commencer, à moins d'en recevoir la commande par un éditeur. C'est beaucoup d'énergie et de temps passé pour rien, sans compter la déception qui entame la confiance en soi. Heureusement, mon premier roman "Grimm", une fantaisie médiévale et cynique, accompagnera la réédition limitée de "Duel" en septembre. Si mes deux romans avaient été acceptés, je serais allé dans cette direction. Mais le destin me pousse vers le non fictionnel. Je n'ai aucun souci à trouver des éditeurs qui me commandent des ouvrages, disons documentaires.


Comment t'es tu retrouvé à écrire des guides sur la méditation et les pouvoirs psychiques ?
J'ai connu des expériences de "sortie de mon corps" dans mon enfance. Depuis je crois en une sensibilité innée à d'autres réalités. Cela a influencé mes chansons et mes sujets de livres. On dit que les poètes et les artistes sont des médiums parce qu'ils développent leur capacité à percevoir le monde intérieur de la psyché grâce à leur imagination. Je suis assez d'accord avec ça. 


Qu'est ce qui est le plus gratifiant : écrire sur la musique ou sur le psychisme ?
Toutes les formes d'écritures me donnent du plaisir et de la satisfaction. Mais l'écriture de chansons est l'acte ultime de la création. Ca me donne un frisson que rien d'autre ne me procure, parce que leur univers et ses habitants sortent de ma propre imagination. De ce point de vue, c'est la chose qui nous rapproche le plus des dieux.

En 1999, tu disais que tu pouvais écrire trois livres en même temps. Etait-ce de la fanfaronnade ?
Non, non ! Je l'ai vraiment fait. J'ai accepté de prendre trois commandes de trois éditeurs différents sur trois sujets différents, courant sur les mêmes délais. J'écrivais 500 mots le matin sur un livre, 500 mots l'après midi sur le 2ème et 500 en soirée sur le 3ème. Bien sûr selon l'inspiration, je pouvais me consacrer une journée entière à un seul livre, me rattrapant sur les autres par la suite. J'écrivais 7 jours/7. Je voulais voir si j'étais capable de travailler à une telle cadence pendant trois mois, et j'ai réussi. C'était bien sûr épuisant, mais très satisfaisant. Je ne le referai pas ! Mais à l'époque j'avais besoin de faire mes preuves et je ne pouvais pas envisager de dire non à l'un d'entre eux, car ils auraient donné le livre à un autre auteur. J'ai donc agi à la fois pas nécessité et par orgueil. Certains testent leurs limites en grimpant les plus hauts sommets du monde ou en faisant le tour de la Terre à pied. Moi j'ai écrit trois livres en même temps.

Il parait qu'"Angels" t'a aidé à trouver ton style et améliorer ta manière d'écrire. Comment ?
J'ai découvert que je pouvais entrer dans une sorte de transe légère par un sorte de méditation qui m'aide à canaliser mes idées, comme un flot de conscience mais tout en restant concentré. Ainsi mon sur-moi écrit le livre. En pratique, cela veut dire que je fais confiance à la première chose qui me vient en tête et déroule le fil, plutôt qu'analyser mon travail et considérer des manières alternatives de dire la même chose, ce qui tarirait mon flot d'idées. Cela résulte en des livres qui coulent et se lisent très facilement, sans que je les ai réécrits des dizaines de fois... comme tant d'écrivains qui ne font pas confiance à leur instinct.

Tu écris plusieurs livres par an. Tu as ta famille et depuis 2003, tu as repris la musique. Comment fais tu pour tout conjuguer ?
Je pense que je suis bien organisé et très motivé. J'ai plein d'idées d'albums et j'aime que les choses se réalisent le plus vite possible. Donc je m'impose des deadlines. Je planifie l'écriture de mes livres de manière à ne pas me perdre dans trop de sources d'information (ou d'inspiration). Cela m'aide à rester concentré sur le thème central et écrire relativement vite.

C'est amusant comme coïncidence, j'ai appris le même jour que tu as écrit en 2007 "Le nazisme et l'occultisme : les origines du 3eme Reich", alors que la palme d'or vient d'être attribuée au film "Le ruban blanc" de Mickael Haneke qui tente de donner une explication au succès du nazisme. Peux-tu nous dire ce qui t'a donné l'idée d'écrire sur un tel sujet ?
J'ai eu l'idée en regardant un film d'horreur anglais qui s'appelle "The Bunker". Le sujet m'a plu car il parlait de surnaturel et de la guerre. Personne n'avait jamais écrit sur cet aspect du Reich depuis les années 70. Je me suis intéressé à la spirale de la destinée parce que c'était une partie bien connue du mythe d'Hitler, mais je l'ai écrit de manière ironique. Ce qui renseignera le lecteur sur mon état d'esprit, alors même que j'approfondissais le sujet: au final je ne crois pas à de telles choses. C'est une de mes techniques : présenter toutes les preuves sur un sujet, même si je n'y crois pas et adopter un style qui fait bien comprendre au lecteur qu'il doit prendre tout cela avec des pincettes, car il ne s'agit pas de faits avérés. Le noyau du livre est la révélation suivante : les Nazis étaient des pratiquants intuitifs de l'occultisme. Ils manifestaient de manière inconsciente la face la plus noire de l'esprit humain et ont manipulé la volonté collective des Allemands en faisant appel à leurs instincts les plus bas, en profitant de la personnalité dominatrice de Hitler. Ceci donne tout son sens au mot "magie". Ca n'a rien à voir avec les envoutements et les sorts. Il s'agit de rituels et de symboles qui influencent l'inconscient et la partie primitive de notre être, celle qui est incapable de raisonner. (PS : au sujet de ta remarque sur la palme d'or, il n'y a pas de coïncidence)


Tu as toujours écrit depuis que tu es tout petit. Est-ce quelque chose de vital pour ton équilibre ?
Pour être honnête, je crois que je pourrais vivre sans, s'il le fallait. Je trouve suffisamment de plaisir à faire de la musique et à m'occuper de mes enfants. Mais je pense que je continuerai tant que cela stimulera mon imagination et que je conserverai un certain enthousiasme dans la chose.

Propos recueillis pas Cathimini

PS : Je profite de cet interview pour remercier les fans français qui m'ont soutenu dans les années passées et qui à cause de la disparition de New Rose m'ont perdu de vue. Je souhaiterais renouer le contact avec eux, donc qu'ils n'hésitent pas à aller sur mon site (qui est en anglais et en allemand) et à m'écrire à l'adresse suivante HYPERLINK "mailto:rolandtowers@hotmail.de"rolandtowers@hotmail.de.

Paul Roland

Bibliographie complète de Paul Roland sur  www.paulroland.net
Discographie complète de Paul Roland sur www.paulroland.de

Discographie complète commentée sur Guts of Darkness