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DOSSIER ECRITS ROCK: ITW DOMINIQUE A
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                                                     Avec la musique, les mots


Les liens entre qualité de l'écriture et mise en valeur mélodique n'ont jamais été aussi évidents qu'avec Dominique A. Il y a cinq ans, il confirmait la perméabilité entre les deux mondes avec la sortie d'un recueil de nouvelles écrites par la fine fleur de la jeune littérature française, inspirées par les titres de ses chansons de "Tout sera comme avant". En 2008, c'est lui qui s'y collait dans un petit bouquin au titre pince sans rire "Un bon chanteur mort".


Dominique se distingue de sa génération par une prose destinée aussi bien aux fans qu'aux simples lecteurs d'un jour, apparemment aussi à l'aise sur papier que sur internet, dans l'édition que dans la presse. A l'heure où ses activités musicales reprennent le dessus pour accompagner "La musique" sur les routes de France et de Navarre, il était intéressant de faire le point sur les passerelles qu'il a largement contribué à construire entre rock et littérature.

Tu as demandé aux autres d'écrire pour toi (cf Tout sera comme avant; le coffret Labels). Maintenant c'est toi qu'on lit régulièrement sur ton blog, dans des journaux en rédacteur ou chroniqueur. Quel plaisir trouves-tu à ces exercices-là ?


Celui de clarifier mes idées, d'essayer d'expliquer clairement ce que je pense, et puis le plaisir d'écrire, tout simplement, de faire apparaître de la pensée là où auparavant, il n'y avait rien.


Tu dis dans les Inrocks que "les tentatives d'humour chez moi sont parasitées par une pesanteur venue je ne sais d'où". Je dirais que cet aspect est lié à la mélodie, l'arrangement. Quand on ne fait que lire tes textes ou tes chroniques, je trouve que l'humour y est bien présent. J'ai ri plusieurs fois en lisant "un bon chanteur mort" (déjà le titre !)
Je parlais du timbre de ma voix, qui m'oriente peu vers la galéjade. Mais oui, autrement, quand je ferme mon clapet, je peux être assez rigolo. Même si globalement les livres que je préfère sont sans humour. Parce que l'humour relève d'une forme de séduction, et que les œuvres les plus fortes ne cherchent pas à se faire aimer: elles cherchent à être, tout simplement.



Comment as-tu été contacté par "la Machine à cailloux" pour écrire ce livre ?


Par mail ou après un concert. Je ne sais plus bien, à vrai dire.


Etait-ce un exercice long et pénible ou une expérience gratifiante ?

C'était exactement tout ça: long, pénible et gratifiant. A vrai dire, si j'avais su dans quoi je m'embarquais, j'y aurais réfléchi à deux fois. Mais c'est ça, de vouloir écrire un livre avec quelques ambitions de littérature: ça te met face à des choix, ça te renvoie aux embrouillaminis de ta pensée et à son indigence. Donc soit tu lâches le morceau, soit tu t'accroches. Comme dans mon activité de musicien je ne suis pas du genre à persévérer, considérant de façon bien commode que quand ça ne fonctionne pas, c'est que la chose n'en vaut pas la peine, là, ça m'a fait bizarre.


A la lecture, on sent le temps passer, les idées s'enchainer au fil de la réflexion qui évolue. Es-tu revenu souvent sur le métier ou est ce (pratiquement) un premier jet ?


Ca dépend des passages en fait; mais globalement tout a été retravaillé. Certains paragraphes ont connu pas mal de moutures. J'avais envoyé un premier jet à Jennifer et Sonia, les fondatrices de la Machine, et elles me l'ont retourné avec plein de rouge partout sur les feuilles et de commentaires acerbes du genre :"un peu prétentieux, ça, non ?"Au début j'ai rigolé, mais pas longtemps. Mais elles étaient dans le vrai: mon premier texte oscillait trop entre des passages "théoriques" très sérieux et des paragraphes déconnants et agressifs: ça ne choisissait pas son camp. J'ai donc repris, sur leurs conseils avisés, le manuscrit en main, avec pas mal d'évolution du coup. La seule chose, c'est que je ne cherchais plus que ça : à organiser les paragraphes entre eux. Je voulais donner le sentiment d'une pensée qui saute du coq à l'âne, et retranscrive l'impossibilité d'attribuer plus ou moins d'importance à telle ou telle idée ou souvenir dans le processus créatif, tout participant de façon chaotique et dispersée au possible, à l'envie de faire des chansons.

Qui a trouvé les petits titres des pages ? Comment s'est fait le choix d'un mot en exergue à chaque fois ?


C'est Sonia et Jennifer, j'ai découvert ces titres en recevant le livre, et j'aime bien: ça lui donne du rythme. C'est comme une interprétation lapidaire par autrui de chaque passage.


Est–ce une manière de répondre ou de compléter "Les points cardinaux" écrit par quelqu'un d'autre sur toi ?

Non, ça s'est présenté comme ça. A l'époque des "Points Cardinaux", je ne pensais pas être capable de raconter des choses intéressantes sur le sujet sur le long terme. Il fallait que ça passe par le regard d'une autre personne, Bertrand Richard, en l'occurrence.

Comment "Les points cardinaux" est il né ? Comment t'y es-tu impliqué (collages, documents, photos…) Quelle a été ta motivation pour cela ?

C'est là encore une proposition de l'éditeur, dans le cadre d'une collection. Comme c'était à moi de donner le "rythme "du bouquin, j'ai tout de suite pensé à une sorte de carnet de voyage très éclaté, avec le plaisir de ressortir de la malle des tas de documents et images. Je ne nie pas l'impudeur de la chose, c'était surtout une manière pour moi de jouer avec les images et de présenter de façon ludique les dessous bigarrés d'un travail perçu par ailleurs comme un truc d'ascète.

On retrouve dans tous tes écrits non musicaux une constante : le format court et la première personne. Pourquoi ?


Le format court, parce que je ne me sens pas les épaules assez larges pour un format long, tout bêtement. Je n'ai ni la rigueur, ni la patience. Et puis, la chronique est un genre que j'affectionne, la mécanique à laquelle elle fait appel me plait bien, elle épouse bien le tempo d'une pensée qui ne se fixe pas. Comme j'écris avant tout pour présenter des choses qui m'ont emballé, la première personne s'impose, il me semble. A la limite, c'est même ce que je reprocherais le plus à la critique musicale contemporaine ce retrait du "je", d'une subjectivité.

Plusieurs de tes chansons sont des petites fictions dont on aimerait bien connaitre la suite, ou l'avant… Bon, on l'imagine, et ce n'est pas plus mal comme ça. Es tu intéressé par écrire sur la longueur ? Des projets, des envies en ce sens ?


J'ai un projet, qui n'est encore qu'au stade du projet, et qui là encore a été impulsé par quelqu'un. Je me rends compte en te répondant que chaque travail d'écriture hors musique a été lié à une demande extérieure. De moi-même, je ne me lance pas, il faut qu'on vienne me chercher. J'ai bien conscience du luxe que c'est. Et je crois que ça dit bien ce qu'il en est de mon rapport à l'écriture: quelque chose autour duquel je tourne, parce que ça me fascine, mais que je crains sans doute d'aborder frontalement. 



Propos recueillis par Cathimini


"Un bon chanteur mort" Editions La Machine à Cailloux
"Les points cardinaux" Editions Textuel