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JIM WHITE
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 Actualité discographique:

"Drill a hole in that substrate and tell me what you see" CD (Luaka Bop/V2)

www.jimwhite.net


 LES PEREGRINATIONS DE JIM

En trois albums aux titres plus qu'évocateurs "(The mysterious tale of how I shouted) Wrong-Eyed Jesus !", "No such place" et aujourd'hui "Drill a hole in that substrate and tell me what you see", Jim White s'est forgé une réputation de troubadour tourmenté et de Baptiste raté, comme il aime à se définir lui-même dans ses carnets de route. Au cours des sept ans passées sur Luaka Bop, le label dirigé par David Byrne, il a développé ses interrogations sur les sens de la vie d’une noirceur insondable que même le Tout-Puissant ne parviendrait pas à sauver.

Or, surprise, aujourd’hui Jim est heureux. Grâce soit rendue à sa petite fille de cinq ans, dont il nous montre les photos au début de notre rencontre, un soir d’après concert dans un patio, sous les étoiles, la lune, parmi la galaxie


Pourquoi avoir choisi d’être musicien ?
Je fais aussi de la photo, de la peinture et de la sculpture et je suis diplômé d’une école de cinéma. J’essaie d’intégrer toutes mes activités en une seule afin que les gens comprennent mieux qui je suis. A la fin de l’enregistrement du premier disque, David Byrne m’a demandé : « C’est un disque superbe, mais crois-tu que les gens vont saisir ce que tu veux exprimer ? » Il m’a suggéré de penser à une poignée de main ! C’était un dilemme socratique : qu’est-ce qu’une poignée de main ? La façon de se saluer. J’ai écrit cette histoire "The mysterious tale of how I shouted wrong-eyed Jesus" pour dire : salut, voici mon étrange univers, ne vous enfuyez pas !

Vos chansons font penser à des nouvelles. Quels sont les écrivains qui vous ont influencé ?
Isaac B. Singer, l’écrivain yiddish, Flannery O’Connor, Cormac McCarthy, Faulkner bien sûr, Barry Hannah qui écrit de bizarres histoires sudistes, Kurt Vonnegut…"Suttree", le livre de C. McCarthy a changé ma vie. C’est difficile à croire mais jusqu’à 18 ans, je n ‘ai pas lu un seul livre ! Je n’ai pas reçu de véritable éducation ; les écoles étaient terribles et il n’y avait pas un seul livre à la maison. Comme je me demandais d’où je venais et ne trouvais pas la réponse par la télé ou la radio, j’ai l’ai cherché dans les livres. Ayant été immobilisé pendant environ un an à la suite de fractures aux jambes, j’ai commencé à jouer de la guitare et à lire. A partir de l’âge de 22 ans, je me suis efforcés de lire un livre par semaine, des fois deux ou trois, pendant dix ans. Toutes les personnes intéressantes que je rencontrais étaient de grands lecteurs.

Vos chansons utilisent fréquemment des images de voyages. Cela reflète-t-il la manière dont vous les écrivez ?
J’écris mes chansons tranquillement chez moi à partir de carnets remplis d’expressions, d’annotations, d’idées. Quand je trouve une musique qui ferait une bonne chanson, toujours la partie la plus difficile pour moi, je parcours ces carnets afin de trouver les mots. Il me faut 30 ou 40 pages pour un seul morceau. Comme je me base sur l’illogisme, la chanson doit avoir une logique interne, trouver un sens. Cela prend des fois des mois, des années. "Static on the radio" (qui ouvre le dernier album) m’a demandé cinq années de travail jusqu’à ce qu’elle fasse partie de moi. Jusqu’au jour de l’enregistrement, j’ai dû lutter avec ce morceau. Joe Henry, le producteur, m’a donné deux jours pour la terminer ! Comme pour le mathématicien Poincaré qui a travaillé des années sur la résolution d’un problème très complexe sans résultat. Quelques temps plus tard, en prenant le train, il a eu la révélation de l’énigme. Elle était devenue une partie de lui-même. C’est ce que j’essaie de faire avec mes chansons.

Il y a beaucoup de bruitages dans vos disques. Passez-vous beaucoup de temps en studio ?
Je suis intéressé par les expériences sonores. Pythagore a parlé d’une sympathie universelle : tout autour de nous, un arbre qui tombe, une parole ou un acte, a une signification. C’est ainsi que je conçois mes albums. Sur le dernier disque, les musiciens étaient si bons, que je me suis réservé le dernier titre,"Phone booth in heaven" pour intégrer tous les sons qui me rendent heureux. Il y a cette histoire d’une tribu habitant près d’une chute d’eau dont les membres hurlaient en permanence ; les anthropologistes leur ont demandé si le bruit de la chute ne les dérangeait pas et se sont vus répondre : quel bruit ? Depuis ta naissance tu entends le bruit de l’univers en mouvement mais comme c’est permanent, tu ne le remarques pas. Quelques fois, tu réalises que ce son existe, tu as ouvert une fenêtre dans un coin de ton esprit. Je suis très intéressé par ces choses-là. Les morceaux produits par Joe Henry n’en avaient pas besoin ; ils étaient parfaits. Joe est la personne la plus intelligente que je connaisse dans le monde de la musique. Il a une compréhension totale des problèmes.

Le son du dernier album est encore plus riche que ceux des précédant alors que, dans le même temps, la voix est en retrait. Est-ce difficile de chanter le bonheur ?
C’est sûr ! Le deuxième titre de l’album s’intitule "Blue Bird", il parle de ma fille dont l’amour me comble. A chaque fois que j’essayais d’écrire pour elle, la chanson était triste et elle me disait : « Papa, c’est triste et bien trop long ! » Cela m'a semblé des paroles parfaites pour clore cette chanson. Mon problème est que je suis très bon pour décrire la peine mais inapte à parler du bonheur. D’un autre côté, si je sortais un disque de chansons bêtes et heureuses, des gens seraient furieux contre moi ! J’ai des tonnes de titres en attente. Petit à petit, je vais avoir l’opportunité de perfectionner mon vocabulaire du bonheur.

Le titre caché, "Land called mine", clôt le dernier album. Est-ce pour contrebalancer les paroles désespérées de "Phone booth in heaven" ?
J’aurais été ravi de finir sur cette note triste. Le fait est que j’ai enregistré ce titre avec Paul Rahjohns, qui m’a beaucoup aidé pour mon premier disque, en m’offrant des séances de studio. On avait bien travaillé ce morceau dont le résultat me transporte mais la maison de disque trouvait que ce titre n'avait pas sa place sur l’album. Ils avaient raison mais je ne voulais pas le laisser tomber. Ca me semblait être un bon coda. Ce titre a été écrit lors d’une période sombre de ma vie mais la musique l’a rendu joyeux. Ce qui suggère une transition dans mon esprit dont je me réjouis !

Peut-on dire que le dernier disque radicalise des moyens employés auparavant
Je fais de la musique depuis 25 ou 30 ans, alors cela ne va pas beaucoup changer maintenant. Je m’intéresse aux musiques africaine et du Proche-Orient sans être compétent pour ce type de choses. J’essaie d’intégrer ces sonorités étrangères comme sur "Land called mine". J’ai 47 ans et ceux qui n’aiment pas ma musique continueront. Rolling Stones a chroniqué un de mes disques en écrivant : Il pose toujours les mêmes questions. Se plaignent-ils d’entendre Springsteen chanter ses sempiternelles histoires de filles ? Excusez-moi, mais je crois plus captivant de s’interroger sur Dieu, la Mort ou le Paradis que sur ses conquêtes du samedi soir !

Vous avez participé à un film documentaire de la BBC, "Searching for the wrong-eyed Jesus" sur la culture du Sud profond
Ils avaient aimé mon premier album où il y a une histoire très bizarre qu’ils ont crû inventée. Ils sont venus vérifier sur place et ont découvert que ce n’était qu’un échantillon de ce qui se passait là-bas. On a visité des églises Pentecôtistes, des campings de mobil-homes où on s’est saoulés avec des rednecks déjantés. Au bout de trois jours, ils ont décidé d’en faire un film avec moi comme guide. Je leur ai suggéré de prendre Johnny Down, un véritable Sudiste. Je ne suis qu’un émigrant, je ne fais pas partie intrinsèquement de cette culture. C’était précisément ce qu’ils cherchaient. J’étais un peu comme ces guides pygmées qui emmènent les touristes. Ce sont des pygmées qui vivent dans des villages non-pygmées. Ils sont hors castes. On s’est baladé au Jesus Lorry Truck Shop, chez Walter’s Barber Shop à Knoxville dans le Tennessee. Ce Walter est un type dingue ; il a été associé avec le père des Everly Brothers, les a vus grandir et il nous racontait des histoires de gars se faisant égorger devant sa boutique. Il a coupé les cheveux du véritable Suttree, celui qui a inspiré le livre de C. McCarthy !!! Nous avons aussi vu des mines, la maison natale de Jerry Lee Lewis…J’en sais plus sur le Sud après avoir fait ce film.

Qu’en est-il de la musique de ce film ?
Ils y ont mis leurs artistes préférés. La caméra nous montre une femme qui a perdu ses fils tragiquement puis elle pivote sur la Handsome Family jouant une chanson très triste. C’est presque un chœur grec. Nous avons un autre projet ensemble : un scénario basé sur l’histoire que je raconte sur le premier album. J’étais sceptique alors ils m’ont suggéré de l’écrire comme une chanson : couplet-refrain, couplet-refrain…avec des instruments bizarroïdes.

En parlant d’instruments, quelle est cette drôle de guitare que vous utilisez sur scène ?
C’est un banjo-caster, une Telecaster avec une caisse de banjo. Les banjos sont si difficiles à électrifier qu’un ami luthier a eu cette idée. Cela sonne moitié hillbilly, moitié africain. J’adore le oûd et ces instruments étranges utilisés par là-bas.

Pourriez-vous vivre ailleurs que dans le Sud ?
(Après un temps de réflexion) 
Bien sûr, et c’est la différence avec un vrai Sudiste. J’ai vécu en Belgique mais la barrière de la langue était infranchissable pour moi. Je pourrais vivre n’importe où aux Etats-Unis du moment que ma fille est avec moi.

Quels sont vos projets pour la fin de l'année ?
Lucinda Williams m’a demandé d’ouvrir pour sa tournée U.S.(ndlr: Elle passera par Bruxelles le 30 octobre.) Ca me changera de jouer devant 20 à 30 personnes. Sur les côtes, Est et Ouest, c’est mieux mais entre les deux, personne ne vient à mes concerts. Je chante l’Amérique dont ils ne veulent pas…

Jim White va poursuivre ses pérégrinations, de tournées en séances de trampoline avec sa fille. Elle va pouvoir retrouver son Sing-A-Long, un karaoké pour enfant que son expérimentateur de père lui a emprunté pour deux de ces morceaux, après avoir longtemps cherché un son semblable dans toute la batterie d'effets de studio.

Le film de Andrew Douglas, est sorti le 28 juin en Angleterre avant diffusion à la télé. David Eugene Edward, David Johansen et le banjoïste Lee Sexton sont aussi de la fête. Souhaitons le découvrir sur les toiles françaises un de ces jours


Jeff B.