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INFRASTITION

                                "Sons des années 80's"

Si dans le domaine de la réactualisation des BO de films français, Stéphane Lerouge fait un magnifique travail d'archéologue (la collection "Ecoutez le cinéma!"), du côté new-wave et sons 80's français, Alex Louis fait un travail remarquable avec son label Infrastition.

Grace à lui on redécouvre les artistes des années after punk à la française. Ainsi les groupes Little Nemo, Baroque Bordello, Clair Obscur, Ptose, Vox Populi!, Complot Bronswick, Babel 17, Martin Dupont, Norma Loy, Mary Goes Round, Tanit et tant d'autres trouvent un second souffle garce à des rééditions de luxe. Comme Stéphane Lerouge, Alex Louis prend un soin particulier pour chaque sortie de son label : inédits, packaging des plus séduisants. Rencontre avec un passionné.

Votre catalogue est essentiellement composé de rééditions en CD de groupes français de la new-wave des années 80. Quelle fut la motivation première de ce label ?
Infrastition est né en 2004, de la volonté de faire un break avec Cynfeirdd, mon premier label commencé 8 ans plus tôt. La musique des années 80 comprend le meilleur et le pire: la new-wave et le disco, la fin du punk, le début du rap… Mais elle a donné lieu à un foisonnement de groupes, de genres et permis une vraie démocratisation de la création musicale. Personnellement les années 80 m'ont permis de découvrir les radios libres, les Enfants du rock, les Inrocks... La musique que j’ai "toujours" écoutée, qui a participé à mon éveil musical, se situe plus particulièrement dans la frange cold wave, expérimentale. Elle est parfois restée en arrière plan, lors de certaines périodes d’engouement pour d’autres genres, mais je ne m'en suis jamais lassé. C’est un genre typiquement français qui est injustement méconnu, voire décrié, et qui mérite d’être remis en lumière, à sa juste place dans l’Histoire des musiques. J'ai donc saisi l'occasion de ne plus avoir de boulot en maison de disques, qui était jusqu’alors mon métier, pour me donner les moyens de réécouter des groupes dont les disques n'étaient jamais sortis en CD ou étaient devenus introuvables. Il y a beaucoup d’affect dans ces rééditions.

Pourquoi ce nom Infrastition ?
Le nom est un néologisme emprunté à Terry Pratchett, auteur de Fantasy anglais, et qui symbolise une sorte d’anti-superstition, d’incroyance totale.

Sur quels critères choisissez-vous les artistes?
L’affect, les souvenirs. Pour la plupart ce sont des groupes dont j’ai les disques ou des copies K7 depuis plus de 20 ans. Pour ce qui est de Ptôse, ce sont et ce seront toujours des ovnis. C’est le genre de sortie qui doit être faite dans un aspect patrimonial de la scène musicale ! Je suis ravi d’avoir participé à la sortie du nouvel album du Complot, tout d’abord parce qu’il est une nouvelle fois un pavé dans la mare des attentes que le public peut avoir sur un groupe. Ensuite parce qu’il me plait beaucoup. Enfin, parce qu’il va permettre de donner un nouvel éclairage à ce groupe, grâce à sa participation aux Transmusicales de Rennes le 4 décembre prochain, suivi d'une tournée. Les prochaines sorties sont Rewind/T.Vision de Norma Loy, en attendant leur nouvel album studio. Il y aura également l’album Détails de Laurent Pernice et la réédition du premier album de 48 Cameras, B-sides are for lovers, combo multiforme sévissant depuis 1985, ainsi que Vicious Circle (à ne pas confondre avec le label bordelais !) J’aurai bien aimé pouvoir sortir Marquis de Sade, mais une major m’a devancé. Il y a encore de nombreux groupes français et étrangers qui méritent d’être réédités. Je fais des découvertes tous les jours grâce à un ami qui me fait écouter des choses que je ne connaissais pas à l'époque.


Connaissiez-vous ces groupes personnellement à l’époque?
Musicalement uniquement. Banlieusard réservé, mes échanges musicaux se limitaient à un cercle d’autres passionnés. D'ailleurs quand je les contacte, leur réaction va de la simple surprise à la totale incompréhension que quelqu’un puisse encore se souvenir de leur existence musicale. Mais l’accueil est presque toujours positif !

Avez-vous quelque petites anecdote au sujet de ses rencontres, prise de contact ?
Il y a quelques années, j’ai envisagé de ressortir un groupe nommé D-Stop. Mais pas moyen de retrouver les membres ! Peu d’infos sur les pochettes, pseudonymes introuvables… Et puis en 2006, Born Bad sort un titre des Visiteurs du Soir (que je sais être le même groupe que D-Stop) sur sa compilation "Bippp". Je demande alors à JB (boss du label Born Bad) de me mettre en contact avec eux et je reconnais aussitôt l'e.mail de JC d’Arnell, des fameux Collection d'Arnell Andrea, que je connais depuis des années. Un ami qui avait su bien garder son secret !

Y a-t-il des groupes actuels qui vous motiveraient ?
Pourquoi pas un premier album sur un coup de cœur, mais il ne m'en vient pas à l'esprit.

Comme le label 4AD vous prenez grand soin du packaging des disques que vous éditez. Les éditions "très limité " sont proches de l’objet d’art. Comment se fait le processus de "re-création" ?
C’est un grand compliment. Je crains d’être bien loin des magnifiques réalisations de Vaughan Oliver (Alex est très modeste!), mais cela me fait très plaisir. Il y a toujours discussion avec les groupes sur les pochettes et les packagings. Certains font appel à des graphistes de leur entourage, je fais les autres. Parfois c’est simplement une réécriture de la pochette originale. J’aime l'objet disque, c’est important de faire un bel objet !



Parlez nous de la conception du coffret intégral de Martin Dupont (4 cd's avec pleins de bonus plus un t-shirt)? Et pourquoi 444 exemplaires ?
Martin Dupont est peut-être le groupe qui a le ratio qualité musicale / ignorance publique le plus élevé de France. Leur créativité était exceptionnelle, ils ont tout de même enregistré trois albums magnifiques et quasiment personne n’a jamais entendu parler d’eux, sorti des Bouches du Rhône. J’ai eu plein de raisons de faire ce coffret. D’un côté il n’y avait absolument rien de disponible pour ce groupe, de l’autre beaucoup de matériel musical inédit. Des intervenants (le groupe, Frédéric Thébault, Member u-0176) très motivés et surtout beaucoup de temps pour y réfléchir (6 ans entre le premier contact avec Alain Seghir et la sortie) ! Quant au nombre d’exemplaires, il y avait 4 CD, une des références est Fin 044, j’ai trouvé ça amusant d’en avoir 444 pour la distribution. Ce genre de coffret se fait souvent à 500 copies, j'ai gardé le reste pour le groupe et la promo.

Les groupes français de cette époque ont-ils un public hors de nos frontières ?
Oui, il y a un intérêt pour ces groupes hors de France, en Allemagne et en Italie particulièrement. Pour les groupes anglophones, je pense qu’ils sont d’intérêt égal avec les groupes locaux ou anglo-saxons, donc ils plaisent pour leur qualité. Pour les groupes francophones il y a certainement un côté exotique qui les fait apprécier, comme nous avons su apprécier Kraftwerk ou Diaframma.



Aujourd’hui c’est un peu la débâcle dans le monde des labels. Ou vous situez-vous ?
Je n’en ai aucune idée. Infrastition est une structure minimale artisanale. On est à des lieues de l’affichage métro et des soirées au Palace. Je fais ce label comme si je faisais mon fanzine, au jour le jour. Je m’occupe de tout et travaille chez moi, avec bien sûr des coups de mains et de bons conseils de quelques amis. Par exemple pour Martin Dupont j’ai mis les CD dans les digipacks, les digipacks dans les coffrets, plié les T-shirt.

Comment voyez-vous l’avenir dans la distribution de la musique? Comment distribuez-vous votre catalogue? Etes-vous inquiet au sujet de la disparition des magasins de disques?
Mon catalogue est distribué en France par Season of Mist, qui me permet d’accéder aux principales enseignes. Sinon le site marche bien et à l’export cela dépend de chaque sortie.
La disparition des magasins de disques, c’est de l’histoire ancienne. Et ce n’est pas vraiment le téléchargement qui les a tués, mais plutôt les majors et leur politique artistico-commerciale: "moins de produits qui vendent plus chacun". A la fin des années 90, elles ont recherché le "produit universel", celui qui peut se vendre à tous. Dans ce contexte pourquoi avoir un magasin de disques quand il n’y a qu’un produit à vendre ? Le téléchargement a eu un double effet étonnant. D’un côté il a permis aux gens d’écouter plus de musique que jamais, de découvrir, de se tromper, de donner leur avis. D'un autre côté, il a dématérialisé la musique en faisant oublier l’achat du support, ce qui est la racine du problème. Pendant des années, et encore aujourd’hui, les fournisseurs d’accès ont une politique commerciale basée sur toujours plus de débit. Sachant que les gros fichiers qui nécessitent ces débit élevés sont le son et l’image, il est amusant de constater que personne, surtout les maisons de disques et les studios de cinéma, n’aient envisagé de les taxer. C’est toujours la faute de l’abonné et jamais celle de celui qui permet la faute. A l’inverse, aujourd’hui, même avec les débits gigantesques que nous avons, on continue à encoder dans ce format bâtard qu’est le MP3 au détriment de la qualité. Alors que télécharger des fichier .wav est tout à fait possible, même si acheter les disques serait plus opportun.

Quel est votre avis sur la loi HADOPI?
Encore une goutte d’eau dans un vase qui n’en finit plus de déborder. Surfer anonymement est à la portée de tous, trouver un site étranger qui propose les titres que vous cherchez sans en avoir le droit également. Ce sont les sites de stockage en ligne qui se frottent déjà les mains.

La loi HADOPI étant voté, alors comme pour l'alcool et les cigarettes, l'abus de téléchargement peut être nocif, donc téléchargez avec modération!

Paskal Larsen

Dernières sorties du label:
NORMA LOY "Rewind/T.Vision" Fin 049 CD
LAURENT PERNICE "Détails" Fin 048 CD
48 CAMERAS "B-sides are for lovers" End 002 CD

http://www.infrastition.com/