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TURZI


"B" (Record Makers)

www.recordmakers.com
www.myspace.com/turzi

 

© Flore-Anne Roth


                                                          A + B = C comme Camembert



Voilà ce que donne un cours de mathématique avec Romain Turzi: A+B=C comme Camembert. En effet la musique de Turzi sent très fort la campagne avec des nappes synthétiques biodégradables, mélangées à du lait 100% naturel. Elle s'écoute dans la grange, allongé sur du foin, la tête dans les nuages, loin des autoroutes qui relient les grandes villes énumérées dans l'album "B".


En attendant cette fameuse lettre C, Romain Turzi répond à nos questions au sujet de ses deux albums "A" et "B".

Après votre magnifique coup d'essai appelé "A", voici "B"! Comment avez-vous abordé ce nouvel album?
Comme pour "A" nous avons bénéficié dune liberté artistique totale : isolement complet dans un paradis Corse avec pour seuls bagages un van bourré de matériel et un ingénieur du son. L’idée prédominante était de s’émanciper du cliché kraut /psyché /drogue qui caractérisait (aux yeux des journalistes seulement) notre musique. Loin de moi l’envie de renier cette musique, mais il me fallait nous prouver que nous pouvions aller « au delà ». L’idée d’être catalogué, reclus dans une seule case m'épouvante. Avant d’enregistrer "A", nous jouions déjà tous les morceaux depuis quelques temps en concert. Il nous fallait donc figer notre musique sur un disque, la condamner en quelque sorte. Ces morceaux n’ont cessé d’évoluer depuis, donc cet album est la photographie de morceaux en constante évolution. "B" s'est créé avec le processus inverse : "on laisse tourner la bande quinze jours, on coupe et on ré-oriente à notre retour". Les morceaux ont étés enregistrés dans l’isolement le plus complet avec le besoin de recommencer à zéro. Pas de compositions strictes, juste des directions et orientations qui correspondaient à nos envies et expériences du moment. Enfin, à l’issue de cette heureuse mais éprouvante session, et après une courte période de repos et de réflexion, il a fallu mettre les mains dedans et ré-écouter, trier, arranger, ré-arranger, enregistrer à nouveau, chanter, effacer, re-chanter, écrire des paroles, raturer, ré-écrire des paroles, re-chanter, doubler des claviers, effacer des pistes, monter, réfléchir, produire, éditer. En gros, tout remettre en question et travailler !

Que s'est-il passé pour Turzi entre "A" et" B"?
Nous avons joué et rejoué les morceaux de "A" lors de mini-tournées US avec les groupes de KEMADO (notre label là-bas). Nous nous sommes donc retrouvé associés au mouvement stoner, donc devant un public plus masculin, plus poilu enfin qui attendait plus en terme d’énergie et de volume et d’intensité sonore que l’indie-popeux auquel nous nous étions malgré tout habitués ici. A l’inverse nous avons tourné en Angleterre aux côtés de Simian Disco Mobile et là ce fut une fois encore un public nouveau et inédit pour nous : des jeunes fluos branleurs qui n'attendaient que du bip-bip cliché et des montés prévisibles et bon marché. On peut considérer ça comme des expériences enrichissantes, tant sur le plan personnel que musical. Ca nous a donné envie de rompre avec les éventuelles attentes des uns et des autres, de se mettre en danger en allant encore plus loin, voire en expérimentant. Et paradoxalement nous avons eu envie de permettre à des gens un peu moins "psych-nerd" de pénétrer notre musique et surtout comprendre notre approche.

 


Revenons à "B". La pression n'était pas trop lourde à la suite de "A", notamment avec cette image krautrock qui vous colle à la peau ?
Cette image est réductrice. Le kraut-rock, c’est notre "bag of tricks", comme nous l’a si bien décrit Lee Renaldo. C'est-à-dire des gimmicks qui te reviennent malgré toi, que tu fais quand tu ne sais pas quoi faire d’autre. On a fait tout pour s’en éloigner, mais je crains que malgré nous, nos réflexes cosmiques / voyages / lévitation reviennent à la charge et teintent nos disques à jamais. Aujourd’hui j’aime à me dire que c’est l’approche et la démarche qui comptent. Et je pense que le SPECTRE TURZI n'a pas dit son dernier mot! ah ah ah

Sur "B" vous avez invité Bobby Gillespie et Brigitte Fontaine. Comment s'est passé la création de ces deux morceaux?
Pour Bobby, ça s’est fait via nos managers respectifs qui se connaissaient depuis AIR. Il a écouté, était ok pour chanter à condition que j’écrive les paroles et les mélodies, ce que j’ai fait. J’ai ensuite été à Londres faire les prises de voix et de guitare additionnelles au Primal Scream Studio. Rien à dire, Bobby est un mec sobre et normal. Il m’a invité à bouffer et à boire chez lui, m’a présenté ses gosses (des baby rockers aux cheveux longs qui ne décrochaient pas de leurs dessins animés). Une bonne leçon d'humilité ! Pour Brigitte, c’est plus drôle. C’est Pierrot, le SHAMAN d’AS Dragon, qui lors d’une visite dans mon studio a entendu que nous parlions d’Areski, qu'il connaît depuis trente ans. C’est donc naturellement que nous nous sommes rencontrés et que je lui ai soumis le titre qui est devenu "Bamako". Au départ nous voulions que ce soit lui qui chante ou qui raconte l'histoire. Finalement à notre deuxième rencart, il m’a dit que Brigitte avait adoré et que si nous voulions, elle pouvait nous écrire un texte. J’ai donc rencontré Madame Fontaine en face à face un matin d’octobre 2008. Après quelques coupes de champagne, elle m’a soumis deux textes, parmi lesquels il y avait "Nous sommes des mutants sur le vaisseau du temps". C'est celui que j’ai retenu. Elle est ensuite venue faire les prises dans mon studio, et Areski nous a honorés de ses percussions aux allures tribales

© Flore-Anne Roth



Que représentent ces deux personnalités (très différentes) pour vous?
Ce sont deux personnes qui n‘avaient à priori rien à faire sur le même disque, mais dont l’approche personnelle est reconnaissable entre mille. Je considère aussi que notre approche est personnelle et reconnaissable c’est donc naturel de faire appel à de telles personnalités. Et puis ils ont tous les deux accepté de participer sans qu'on ait à parler d'argent.

Tous les titres de l'album ont des noms de villes qui commencent par la lette B. Il manque Berlin dans la liste; trop évident?
Non seulement c’est trop évident, mais ce que j’ai vu là bas ne m’a guère plu : trop sale, trop drogue, trop triste. Voilà pourquoi j'ai choisi Baden Baden. Beaucoup de DJ et autres artistes déchus ont quitté leur ville natale en croyant dur comme fer aller droit vers l’eldorado. Mais je ne suis pas convaincu que ce soit vraiment ça Enfin, j’en sais rien puisque je ne suis pas resté longtemps. Et puis "B" n'est pas un album de Boche-rock !

Vous avez pas mal tourné avec parfois des guests cultes et de luxe. Comment faites vous pour convaincre des prophètes oubliés du rock psyché 70 de vous suivre?
Je pense sincèrement que nous avons quelque chose en commun avec les gens qui nous entourent, que ce soit pour l’album ou pour les tournées. On a en commun cette envie de l’au delà, de la dérive, du voyage, de paysages sonores, de monté / descente / monté / remonté / stop et non pas de couplet / refrain / bridge/ refrain. L’harmonie et les sensations créées importent plus que la mélodie et la structure. Enfin on est des prophètes, donc entres grands on n’a pas de mal à se comprendre. Et là j’ai envie de citer "Romantique" de AIR (?): "la musique est un combat et nous sommes des gladiateurs".

Le prochain rendez-vous sera-t-il la lette C ou bien la lette Z?
On va sortir début 2010 un album entier de musique électronique et irrévérencieuse chez Record Makers. A moyen terme, on a un projet de « live » de Turzi & the Four Organs qu’on enregistrera en janvier au Point Ephémère pour Pan European Recording. Enfin, un album "C" rempli de noms de fromage comme le Camembert, le Cousteron, le Chaussée aux Moines, le Chavrou, le Crottin, le…

Quelque chose à rajouter?
T'aime le Rock, t'aime la drogue, t'aime la discipline ? Alors t'achète Turzi!
 

Pascal Larsen