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LES NUITS BOTANIQUE

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The Irrepressibles photo © Franck Ducourant


                                     Les Nuits Botanique (Bruxelles) 7-17 mai 2010
 
Les Nuits Botanique ont lieu en soirée et s'arrêtent pile-poil pour attraper le dernier tramway, avant la nuit donc. 2,50 € le cornet de frites, qui sentent la patate, pas le machin dégueu de chez Mac Do, et 2 € la (bonne) bière, pas le jus de pisse au prix exorbitant, que l'on sert dans les salles parisiennes. Des entrées variant entre 10 € (La Fiancée) et 30 € (Les Tindersticks). Pour en finir avec les chiffres, avec une moyenne de 15 €, on voit deux à trois groupes par soir, dans de bonnes conditions, sur 17 jours. Quant à la programmation, elle est comme toujours, excellente. Défricheuse, Les Nuits invitent depuis plus de dix ans les musiciens les plus innovants et excitants du moment. Votre serviteur ne s'est pas déplacé pour Jean-Louis Murat, Brigitte Fontaine, Hole, qui de toute façon - o surprise - a annulé, ou CocoRosie, locomotives de cette édition, mais a vu pour vous plein de bonnes choses. 
 
On commence par la soirée du 7 mai avec les bien nommés Murder et les moins bien nommés Joy au Museum, espace cosy, habituellement réservé à des expositions. Des fauteuils fatigués sont installés autour d'une scène circulaire, improvisée à même le sol, où s'étale un large tapis qui a manifestement connu de nombreux pieds. On est vite brieffé, Joy les Belges et les Danois Murder joueront en acoustique, quoique... Je ne pense pas avoir jamais évoqué dans ces colonnes les potentiellement dangereux Murder - l'un des deux pourrait bien être un gros psycho -, et bien voilà c'est fait ! Murder est donc un duo folk et pince sans rire, qui fait furieusement penser aux Kings of Convenience, le côté angélique en moins. Une voix leader, l'autre qui harmonise et une guitare classique - autrement appelée espagnole - alternant avec une guitare folk... Seul effet spécial d'un set tantôt serein, tantôt tendu, jamais ennuyeux. Les mélodies sont gracieuses, les voix magnifiques. Deux jolis brins de fille, l'une aux baguettes, l'autre suspendue à l'archer forment autour du chanteur guitariste Marc A. Huyghens, ex-Venus, le trio Joy. Et bien sûr, il s'agit d'un gros mensonge, car il est nullement question de joie ici. La violoniste alto joue très concentrée sur son instrument, souvent saturé par les pédales d'effet. Sa collègue, qui chante aussi bien qu'elle bat la mesure, tape comme un animal, et régulièrement la musique évolutive (progressive), très prenante, envoie quelques explosions électriques qui foutent les jetons. Chansons haut de gamme, mélodies audacieuses, la partition de Joy vaut bien celle de Venus. J'allais oublier, c'est peut être un détail pour vous... mais la batteuse joue debout.... eh ouais, comme le batteur des Stray Cats, la classe ! Le lendemain, c'est entouré de huit musiciens - hautbois, piano, percussions, violons et violoncelle - que Jamie McDermott se présente sur la scène du Cirque Royal. On pense d'abord à une mauvaise blague. Le leader incontestable de The Irrepressibles arbore un manteau gris rappelant les grandes heures de la new wave, cachant mal un polo marin et une lavallière rouge très JP Gaultier. Des manières, il en fait des tonnes. Il faut le voir jeter sa bouteille d'eau, une fois sa gorge hydratée... c'est tordant. En plus d'exceller dans l'exécution de leurs instruments, les musiciens de The Irrepressibles se lancent dans une chorégraphie curieuse, à base de contorsion, évoquant la danse de l'asticot dans la boîte à appâts du pêcheur du dimanche. Ni bonjour ni merci, Sir McDermott est d'une impolitesse exquise. Très vite, on se prend au jeu et le spectacle, car il s'agit bien de cela, devient irrésistible et franchement réjouissant. Mêlant la danse, le théâtre et la musique The Irrepressibles, malgré les références criantes - Anthony, My Life Story, Marc Almond, voire Klaus Nomi -, nous rappellent que dans la formule « show business », il y a le mot show. Eh ouais ! Mardi 11 mai, nous revoici au Botanique, et le Muséum s'appelle désormais le Grand Salon. Une blague belge, histoire de brouiller les pistes ? J'arrive néanmoins à temps pour voir le premier concert de cette « nuit belge » joué par... les Parisiens de Syd Matters. Pour les étourdis, s'il en existe, Syd Matters n'est pas seul. Emmené par Jonathan Morali, les cinq musiciens du groupe sont même huit ce soir, carrément, et égrènent avec ferveur leurs folk songs, gorgées de choeurs, à l'entrain communicatif. Un set essentiellement composé de nouveaux titres à sortir à la rentrée qui remporte ici un joli succès.Brotherocean sera le - déjà - quatrième album et semble être tout aussi ouvragé que le précédent, sorti en 2008. Pas moyen de revoir Lucy Lucy. L'Orangerie est pleine à craquer. Même chose à la Rotonde, où les chanceux qui ont su se frayer un chemin pour aller applaudir David Bartholomé (Sharko), ont l'air de s'amuser. Je me dis qu'avec un nom pareilEté 67 doit sentir bon la sunshine pop. Raté ! C'est armé d'appareils photos numériques que la jeunesse bruxelloise accueille ses idoles. Loin des Easybeats, Love, Lee Halewood ou des Kinks, Eté 67 fait plutôt songer à Richard Anthony ou Monty. Un été 67 en France donc, pas de bol ! Composés d'un contrebassiste qui joue de son instrument rageusement, d'un pianiste et d'un accordéoniste passant le plus clair de leur temps à reluquer un bout de moquette, d'un batteur espiègle, d'un chanteur au charisme relatif, mais néanmoins fort drôle. et de deux charmantes choristes, les Anversois de Dez Mona se sentent ici chez eux. Combinant les genres gospel, blues, rock, soul, cabaret... avec beaucoup d'habileté, la prestation du groupe rencontre un vif succès. Gregory Frateur, leader à la voix perçante, nous raconte des histoires pas forcément rigolotes mais suffisamment captivantes. En traduisant mot pour mot quelques bribes de phrases de leurs chansons en français, puis en néerlandais, il se mettra facilement le public dans la poche. Bien ouéj ! Samedi 15, fissa au Bota pour voir de près Wave Machines de Liverpool. Bonne nouvelle, bien qu'anglais, le quartet n'essaie pas de refourguer une pop qui sent la vieille chaussette, mais sait au contraire être inventif. Un rien fébrile, les rosbifs sonnent très « pro » et jouent parfaitement leurs - bons - morceaux qui mêlent rythmiques funk, mélodies futées et arrangements exotiques. On retrouve chez eux un peu de l'excentricité de XTC ou celle des oubliés Perfect Zebras. Un même album de Absynthe Minded, avait fait l'objet d'une double chronique dans nos colonnes... bon, pour notre décharge, par deux plumes et dans deux numéros différents. On se devait d'aller voir les Gantois en concert, ne serait-ce qu'une fois. C'est chose faite. Les jeunes Flamands jouent appliqués, impliqués, entre rock, pop, et jazz manouche. Le concert est malheureusement ponctué de problèmes techniques, retours inexistants, micros défaillants... Il y a de l'action sur scène et les roadies volent un temps la vedette. La performance est cependant mieux qu'honnête et les mecs, qui plus est, sont sympatoches. Je zappe sciemment la première partie de la soirée du 17, histoire de finir en beauté avec Richard Hawley, l'ex-Pulp, devenu en une poignée d'années l'élégant crooner de ce début de siècle. Beau costard, chouettes guitares vintage, joli pupitre en guise de prompteur, musiciens distingués. Avec Sir Hawley, c'est la machine à explorer le temps. C'est qu'on assiste peu ou prou au bal de fin d'année, à cheval entre 59 et 60, au fin fond de l'Amérique. Durant quatre vingt minutes, on nous donne à entendre des ballades délicieusement surannées et belles à geindre... entre Elvis the pelvis et Frank the voice. Nul besoin de saut périlleux, de blague pourrie ou d'images animées sur grand écran, pour divertir un public aux anges. Parce que je n'ai jamais vu à la fnaque, et autres enseignes en obsolescence, d'autres t-shirts qu'à la gloire de Lady Gaga ou Mickael Jackson - paraît qu'il est mort ! -, je quitte le Cirque Royal, muni d'un beau spécimen noir en taille L, avec la tête du gars Richard, royalement ravi.
 
Franck Ducourant
 
  Wave Machine. photo © Franck Ducourant