abus dangereux : article
YEAR OF NO LIGHT

 

CD & LP disponible sur la boutique d'Abus Dangereux ici:


 

 

                                     YEAR OF NO LIGHT



Après moult split ep et un changement de line-up bien pensé Year Of No Light revient pour illuminer nos oreilles et nos esprits, amen.

Avec « Ausserwelt » , ils atteignent des sommets. Ils nous transportent dans leurs esprits tortueux avec cette bande originale pour nuit très noire et froide. 3 guitares, 2 batteries, 1 basse pour une musique instrumentale, sombre, hypnotique, massive et addictive. Rencontre avec les acteurs de ce voyage transcendantal.

© Toums

 

 

- Il y a eu beaucoup de changement depuis NORD, un troisième guitariste, un deuxième batteur, plus de chanteur. C’est une volonté de changer de direction ?

Jérôme: Il s'agit plus d'une expansion du territoire des possibilités du groupe plutôt qu'un changement de direction, je pense que l'on suit la même dynamique depuis le début, il y a presque dix ans et certains symptômes comme l' étirement des morceaux qui génère un effet d' immersion ou les anomalies soniques qui provoquent des effets d' évocations/invocations étaient présents dès le départ.

Johan: Ces changements étaient amorcés avec l’ancien line up (on avait par exemple commencé à faire des lives différents comme lors du roadburn 2008 où l’on avait invité Dirk fear falls burning à nous rejoindre sur scène) et tout s’est accéléré lors du départ de Julien (ndlr : ancien chanteur). On a pensé que c’était le bon moment pour les accélérer quitte à repenser tout notre live. Au final ce fut presque comme recommencer un nouveau groupe de zéro avec un nouveau line up et des nouveaux morceaux.

Mathieu: Je me rappelle, lorsque je suis entré dans le groupe, que ses membres historiques m’ont dit qu’ils en avaient plein le cul d’être assimilés à une scène qu’ils n’aimaient pas particulièrement, celle du post-hardcore… Je les connaissais déjà pour certains et je sais qu’on était vraiment sur la même longueur d’onde quant à ce qu’on voulait produire, c’est-à-dire une musique pleinement et fièrement influencée par le métal (heavy, lourde et hypnotique) mais qui étendait sa portée à plein d’autres univers logiques ( shoegaze, kraut, psyché, cold-wave) pour livrer une vision personnelle du genre et, allez, disons-le, adulte… Le truc maintenant, c’est d’en repousser encore plus les limites…

Pierre: YONL a dès l’origine été conçu comme un collectif ouvert à dominante instrumentale : « Ausserwelt » apparaît comme une conséquence à la fois logique et accidentelle de la manière dont nous appréhendons notre praxis musicale.

-  « Ausserwelt » est beaucoup moins brut et agressif que « Nord », plus planant. Quelles ont été vos influences lors de l’écriture?

Jé: Le processus d’écriture pour ce disque a été plutôt chaotique, d’autant plus que le groupe dans sa forme actuelle était en train de prendre ses marques. Les structures des morceaux ont muté à de nombreuses reprises sans que l'on s'en rende parfois compte et souvent on avait l'impression de négocier avec un truc qui nous échappe un peu, une sorte de golem sonique en fait. Pour les influences, on écoute tellement de trucs différents que ça serait trop long à évoquer mais je me rappelle avoir écouter Maessian, Sonic Youth, Asva, Menace Ruin, et A Place to Bury Strangers durant la gestation de l' album.

Shiran: Les influences sont diverses de My bloody valentine, à Darkthrone en passant par Iron Maiden ou Dead can dance. Mais au de là de cela, l’idée était d’aller plus loin et d’essayer de voir quels sont les chemins intéressants que l’on peut emprunter avec une telle formation. On en a essayé certains avec « Ausserwelt » et on va en essayer d’autres dans l’avenir, en essayant peut être d’aller plus loin dans la recherche de dynamique. « Nord » a été un point de départ et aussi une influence pour moi (je signale que je ne joue pas sur « Nord »). Lorsque tu joues sans avoir à te soucier du chant tu es naturellement poussé à travailler les ambiances de façon plus progressive. Tu peux te permettre de jouer avec tout ce qu’un thème ou un riff peut harmoniquement et rythmiquement t’offrir. La difficulté étant de rester sensé et humble dans l’exercice et de ne pas tomber dans la masturbation.

M: Hormis tous les trucs qu’on rabâche à longueur d’interviews (My Bloody Valentine, Black Sabbath, Joy Division…), je me rappelle avoir amené quelques disques à Cyrille, le sculpteur de son de l’album, qui pouvaient révéler ce qu’on en attendait : « Ocean Rain » d’Echo and the Bunnymen, « L’enfant assassin des mouches » de Jean-Claude Vannier, « Monster Movie » de Can… Je trouve que le côté froid, ample et symphonique du premier se retrouve bien sur Ausserwelt, et c’est pas un mince compliment…

P : J’aurais plutôt tendance à penser que le grain et les morceaux du nouvel album doivent plus aux contingences misérables de nos pauvres existences qu’à une quelconque volonté de s’inspirer de tel ou tel artiste. Bien entendu, on ne prétend pas réinventer la roue. Néanmoins, « Ausserwelt » a surgi comme une interface amplifiée d’un besoin urgent de sublimation face au néant qui nous entoure. Encore une fois, on en revient à la notion de praxis.

- Comment se passe la conception des morceaux ? Comme chaque membres jouent dans plein de groupes à coté de YONL ca ne doit pas être facile de tous se retrouver pour composer.

Jé: C' est vrai que c' est pas simple, on essaie d' être souple, parfois on travaille chacun de notre côté et d' autre fois la magie du collectif opère.

P: C’est parfois très compliqué, d’autres fois çà roule tout seul. On nage en permanence entre tension et paradoxe. YONL est un groupe, bien entendu, mais avant tout un réseau de singularités en actes avec désormais un fort tropisme à l’encontre d’une économie orchestrale de l’usage de la distorsion et de la réverb.

M: On essaie de gérer et de faire en sorte que chacun y trouve matière à s’exprimer artistiquement. Comme dit Pierre, on est un peu dans le paradoxe : d’un côté on est plus un orchestre qu’un groupe, et de l’autre, c’est un tissu d’individualités… On essaie de trouver la balance juste.

-S: On habite tous Bordeaux donc ça facilite beaucoup les choses. Le plus difficile reste la gestion du planning (Et je ne facilite pas les choses…). On a tous diverses activités et projets en dehors de Yonl qui nous prennent pas mal de temps et d’énergie mais bon la motivation et l’envie de jouer ensemble fait que l’on parvient toujours à faire avancer le groupe de façon efficace.

© Laurent Castagné

- Dans la dernière interview qu’on avait faite dans Abus, vous aviez qualifié votre musique de pessimiste, est-ce toujours le cas avec ce nouvel album ou  le pessimisme à t’il laissait la place à un nouvel état d’esprit ?

Jé: allez, comme c'est la crise on va citer un marxiste: «  il faut allier le pessimisme de l'inteligence à l'optimisme de la volonté". C'est peut etre un bon résumé de notre état d' esprit.

M: Plus que le pessimisme, c’est vers la transcendance qu’on tend. Notre musique est assez introspective et on aime bien croire qu’elle est une sorte de reflet de l’âme, avec ce que ça comporte de luminosité mystique et de tourments infernaux. Après, bien qu’on ne soit pas une bande d’intellectuels dépressifs, on produit quand même une musique qui est le reflet de son temps et il s’y exprime forcément un certain dégoût, un petit côté réactionnaire, mais dans le sens positif du terme. Personnellement, je la rattacherais philosophiquement à des types comme Nietzsche ou Schopenhauer qui produisaient un pessimisme optimiste, vital. Ça rejoint bien ce que dit Jérôme.

P: Je ne crois pas qu’il y ait eu une quelconque métanoïa au sein du groupe. La double matrice génétique du groupe, à savoir un besoin de sublimation couplé à une recherche d’une stase transcendantale, est toujours présente. Par contre, la configuration actuelle du groupe lui permet, il me semble, de creuser plus en avant ce sillon, en particulier dans sa dimension contemplative et introspective. C’est aussi un majeur fièrement tendu au nazisme pop-moderne qui nous ronge et à une certaine modernité qui lui est consubstantielle. Le flingue dans la bouche ou les genoux aux pieds de la croix comme dirait l’autre. Pas de résignation pour autant me semble t’il.

- Ausserwelt  veut dire "d'un autre monde" an Allemand. Pourquoi l'utilisation d'un titre d'album dans cette langue alors que les titres des chansons font référence à la mythologie grecque ? "perséphone" ( déesse des enfer). "hiérophante" ( prêtre qui présidait aux mystères d'Éleusis).

 

Jé: Au départ ce titre est une référence lointaine au livre de Delillo « outre-monde », qui d' ailleurs a pensé à ce titre en associant Pluton, le dieu des enfers de la mythologie romaine à la problématique de l'enfouissement des déchets. Comme on ne voulait pas utiliser « outre-monde » comme titre on a cherché des équivalents dans d'autres langues et on est tombé sur « ausserwelt » qui est surtout utilisé par les anglo-saxons dans l' étude des espèces animales, la traduction du livre en allemand étant « unterwelt ». En fait, on s'est rapproprié ce mot à tel point que maintenant si tu fais une recherche sur google, il est quasiment impossible de retrouver la signification originale car on ne tombe que sur des infos sur le disque. C'est devenu un mot qui peut recevoir de nouvelles significations, qui est  « ouvert », un peu comme l'île de la pochette qui est une sorte de porte.

Pour ce qui est de « Hiérophante », j'ai proposé ce titre de morceaux suite à la lecture des « terres occidentales » de Burroughs. Sur la quatrième de couverture, Michel Bulteau compare Burroughs à un hiérophante qui nous fait voyager à travers l'empire des morts et dont les incantations libèrent un monde où les mythes refusent de disparaître et confortent la réalité. Je fais ces précisions simplement pour montrer qu'il n' y pas de « concept » derrière l' album mais que nous voulions un ensemble lexical suffisamment évocateur pour appuyer la musique.

M: Juste pour le plaisir de se faire taxer de nazisme une fois de plus… Un type dans une chronique a même trouvé que le titre rappelait l’ambiance des camps de concentration (Ausserschwitzwelt ?!!!)… Blague à part, c’est une fois de plus pour faire allégeance à notre culture et c’était aussi le moyen pour l’auditeur d’entrer dans le disque par le biais d’indications linguistiques « abstraites » mais évocatrices…

P: Comme le dit Jérôme, il n’y a pas de concept précis derrière Ausserwelt, mais plutôt la volonté de bâtir une cathédrale sonique possédant sa propre unité. Les titres ont émergé bien après la gestation de la musique. C’est en réécoutant les deux premières pistes que l’image de Perséphone a surgi dans mon cerveau embrumé. C’est un personnage envers qui j’éprouve depuis toujours une véritable tendresse, mâtinée de mélancolie : une jolie jeune fille devenue reine des morts par obligation. Les bois d’Enna, une divinité chtonienne en devenir, la rencontre avec Hades et tout ce qui s’en suit semblaient s’insérer naturellement dans les deux mouvements qui scandent ce long morceau. Et la colère de Déméter sonne bien heavy : « La terre sera affamée tant que je n’aurai pas retrouvé ma fille » ! L’articulation de Perséphone à Hiérophante, comme l’a expliqué Jérôme, procède de Bulteau et Burroughs et non d’une volonté de continuité thématique, même si c’est vrai qu’après coup, la référence au mystère d’Eleusis surgit comme un espace interstitiel inconsciemment échafaudé.


© Laurent Castagné

- On voit la filiation entre votre univers et la mythologie grecque. La musique de ce Ausserwelt serait elle la bande son des "mystères d'Eleusis", culte ésotérique grecque dédié à la reine Perséphone?

Jé: « Ausserwelt » peut être considéré comme une bande son potentielle et pourquoi pas celle d'Eleusis mais c'est avant tout une immersion auditive et si c'était la bande originale d'un film ça serait avant tout un film abstrait et capable de muter à chaque fois qu'on le regarde. Je crois que la musique que l'on fait n'est plus vraiment du rock ou du métal et l'aborder de cette manière serait une erreur. Je crois que j'ai vraiment compris quel genre de musique on produisait le jour où j'étais avec un autre groupe dans un camion sur l'autoroute de nuit et quelqu'un a mis Nord sur l'autoradio. La musique a commencé à remplir l'espace du camion et tout l'environnement extérieur à commencé à être différent, la route était plus inquiétante, les gens on arrêté de parler et il y a même un type qui a réagi de manière agressive, un peu comme si cette musique était trop prégnante et agissait trop sur les sens et l'imagination. Une autre fois avec le même groupe toujours dans un camion, j'observait du coin de l'œil l'ingé son qui avait un casque sur les oreilles, qui donnait l' impression d' être complètement bloqué et qui avait les yeux fixe depuis presque une heure, et à un moment je me suis rendu compte qu' il écoutait Nord.

En fait on produit une musique plus proche du psychotrope que de la Bande Originale, je crois. Par ailleurs je conseille aux gens d'écouter le disque en conduisant la nuit.


- Comment a été développé cette accroche avec la mythologie? Et quelles conséquences sur le développement des chansons?

Jé: L'accroche avec la mythologie n'a pas eu de conséquences sur le développement des chansons puisqu’on a choisi les titres une fois les morceaux finis. Je crois d’ailleurs qu'au final l'album a sa propre mythologie.

M: Comme déjà dit, on tend pas mal vers la mystique et la transcendance, c’était donc tout trouvé… La volonté aussi de créer un disque et des morceaux « mondes » qui évoqueraient des paysages glorieux tout en étant le reflet d’aspirations humaines depuis trop longtemps étouffées…

P: Les titres des morceaux relèvent plus d’une cartographie itérative et évocatrice des morceaux monde que nous accouchons. Elle opère à posteriori. Quant à l’usage des mythes grecs et de la langue allemande, mâtiné d’amplification psychotropique, c’est toujours la même histoire : un besoin de sublimation extatique à la recherche de territoires fantasmés et pourtant très profondément incorporé dans notre sensibilité. Ici, une version « sturm und drang » d’une espèce d’Europe transmutée et sublimée, territoire onirique à la beauté cruelle, une sorte véhicule matriciel vers un voyage intérieur, à travers la brume, la forêt et la pluie à la recherche de ce qui fut peut-être.


- Quel sont les projets pour YONL et pour Radar Swarm?

  Jé: pour YONL, le ciné concert avec une création sur le « Vampyr » de Carl Th. Dreyer. Cet exercice nous a permis de développer de nouvelles dynamiques créatrices. On a pas mal de concerts de prévus aussi. Sinon on ne va pas tarder à composer de nouveau. En fantasmant un peu j'aimerais bien que l'on refasse un disque/monde dans la lignée d' Ausserwelt avec tous les outils que l'on a acquis entre temps avec le groupe ainsi qu' un disque avec des morceaux plus proche du format chanson mais toujours avec ce coté musique psychotrope. Si on a le temps on sortira une sorte de « fantôme » d'Ausserwelt avec les démos et les chutes de studio, une sorte d'empreinte nucléaire du disque en quelques sortes. Ce disque pourrait se ranger dans le volet vide du digipack de la version cd d'Ausserwelt... enfin bref plein de projets.

Jo : Avec YONL on vient d’enregistrer un nouveau morceau qui sortira sur un split lp avec Altar of plagues avec qui on vient de tourner en Europe. Il y a bien ce projet de disque fantôme mais il faut que l’on se bouge un petit peu pour ne pas le sortir dans 3 ans !
Et sinon on va essayer d’enregistrer les compositions faites pour le ciné-concert sous peu. Cela pourrait faire un album vraiment différent avec beaucoup plus de synthés et de morceaux courts…

Avec Radar swarm, l’hiver a été pas mal chargé avec le split 7’’ Year of no light / Karysun et le rosetta ‘galilean satellite’ en 2 gatefold doubles lp (4 lp pour l’intégralité de l’album + du disque ambient) qui a été un projet assez fou et couteux !
Là je viens juste de sortir le ‘sol’ d’altar of plagues. En juillet il y aura un split lp Expo 70 / ALtaïr temple (duo drone ambiant dans lequel je joue également) et un petit peu plus tard il y aura le split lp Year of no light / Altar of plagues. J’ai pas mal de trucs en cours aussi pour l’hiver prochain (lacustre, sunshine parker, n’embête pas les morts…) mais il est encore un peu tôt pour en parler comme tout n’est pas encore défini sur les formats (livres, lp… ???)

 

Laurent Castagné & Frédéric Vocanson