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VERONE

Verone "La Fiancée du Crocodile (Talitres / Differ-ant)

CD disponible sur la boutique d'Abus Dangereux ici !



                                           Caïman perfetto !

 

L'action se déroule à Vérone. Elle raconte l'histoire de Roméo et Juliette, vivant un amour tragique en raison du ressentiment qui oppose leurs familles. L'action se déroule à Paris. Elle raconte l'histoire de Delphine et Fabien, jouant dans le groupe Verone, et même si leurs proches ne disent trop rien, ils n'en pensent pas moins. Diantre !

 

Verone sort enfin une suite à Retour au zoo (2005), premier essai transformé et largement au-dessus de la mêlée. Un nouvel album donc, polychrome, à l'image de la pochette qui balaie la conformité, congédie la normalité, où il est question de coucherie avec une femelle crocodile, de poissons hallucinogènes, de côtes de porc, d'homme paillasson, de belles décaties, d'oreilles tapissées de poil, de lancer de saucisses, de sourcils à la place des lèvres... Vous m'avouerez que ces deux jeunes gens sont très extraordinaires. Et ça n'est pas tout. Sur fond de guitares ô combien ouvragées et de banjo ondulé, La fiancée du crocodile est nourri de mélodieux parasites, de clapotis de râpe à fromage, de tapement de dé à coudre, de sifflement de presse-purée... Un entretien avec Delphine Passant et Fabien Guidollet allait de soi. Attention, patatras, les réponses ne sont pas celles que vous croyez !

 

 

 

Sur La fiancée du crocodile, il y a beaucoup d'idées par chanson, de cassures, de rythmes rompus et d'arrangements ludiques. De combien de pistes avez-vous besoin pour intégrer tous ces éléments ? Etes-vous du genre pointilleux ?

Fabien Guidollet : On a commencé à réfléchir sur la suite à apporter à Retour au zoo en 2007. Notre idée initiale était d’enregistrer dans les conditions du live, tout en personnalisant au maximum chaque morceau. Les premières prises avec des invités ont suivi, mais on s’est vite rendu compte qu’on voulait aller plus loin en utilisant nos ordinateurs et les possibilités de notre propre studio. On a donc déconstruit le résultat des séances pour y intégrer des éléments plus personnels : des rythmiques électroniques, des ambiances sonores capturées avec un enregistreur portable, des appeaux et des percussions exotiques, des jouets, de l’électro-ménager… Généralement, on essaie plusieurs approches pour une chanson et, de fil en aiguille, on finit par se retrouver avec des poupées russes qui s’emboîtent les unes aux autres. Il y avait effectivement beaucoup trop de pistes par morceau - rarement plus d’une centaine quand même - mais on a travaillé dur avec Riatto - alias Tom Fury, qui nous avait déjà aidé sur Retour au zoo - pour ne garder que le meilleur. Finalement, toujours dans l’idée de différencier les chansons, on a fait appel à deux mixeurs, un français, Yann Arnaud, et un anglais, Paul Kendall, le premier travaillant en analogique et le deuxième exclusivement avec des ordinateurs. Ça nous a permis de combiner deux approches différentes, d’avoir en même temps un son organique à l’ancienne et une balance et des suivis très précis. Pointilleux ? Je ne sais pas ! On essaie d’obtenir ce qu’on entend dans nos têtes, du coup on prête beaucoup d’attention aux textures sonores qu’il y a autour des voix et des rythmiques, ce qui est plutôt inhabituel chez des artistes français.


Delphine Passant : C'est l'avantage et l'inconvénient de produire un disque sur des ordinateurs. Tu as tendance à toujours vouloir aller plus dans le détail, zoomer sur telle ou telle partie. On a d'abord enregistré les rythmiques, quelques instruments : clarinette et trompette sur Garage, synthés « pink floydiens » sur Hamac, percus exotiques sur Silence Radio. Puis, on a trituré toute cette matière. On est rapidement passé des trois semaines de prises programmées à deux années enfermés dans notre studio... afin de trouver le bon équilibre. Finalement, le mixage a été plutôt rapide mais délicat. Il fallait faire attention à ne pas défaire le puzzle. Quand on s’éloignait de la construction d'origine, le château avait rapidement tendance à s'écrouler...

 

Comment retranscrire ça en concert ?

F : On ne tente pas de retranscrire le disque sur scène, mais simplement les chansons. A un moment donné, pendant les séances d’enregistrement, on a éprouvé le besoin de refaire des concerts, mais cette fois en vrai duo, pour créer plus d’intimité entre nous et les spectateurs. Dans un premier temps, on a utilisé pas mal de samples (des rythmiques, des ambiances, des bruitages...) avec un système high-tech qui permettait à Delphine de stretcher les sons en temps réel dans le tempo des guitares. Ensuite, Delphine s’est mise à chanter et à jouer de la batterie, et on a retrouvé le plaisir du (presque) tout acoustique. On amène quand même toujours quelques jouets avec nous - cette semaine, une guitare en mousse, un galet sonore, quelques appeaux... Et Delphine fait des percus avec sa robe en cuillères !

 

D : Sur scène, nous avions deux options : soit un groupe de quatre musiciens, avec invités, pour se rapprocher du disque, soit quelque chose de radicalement différent. Nous avions depuis longtemps envie de tenter des concerts à deux. Au début, c'était un peu déséquilibré, car seul Fabien chantait. Du coup, je m’y suis mise également, et puis j'ai essayé de faire un orchestre à moi toute seule, en me déquadriplant ! Ce n’est pas évident, mais ça m'amuse beaucoup en tout cas.

Il y a des mots - succession de mots - rarement entendus dans la « chanson française ».

 

Vous le faîtes exprès ? D'où viennent ces mots terribles, par où transitent-ils ?  

F : Non, non, ça vient naturellement. Peut-être une localisation particulière des zones du langage ? J’ai souvent eu tendance à bégayer, donc je tourne les mots longtemps dans ma tête avant que ça sorte, et je suis très attentif à la rugosité des syllabes. C’est ce qui a créé la rythmique des chansons sur ce disque puisqu’on est parti des textes plutôt que des musiques.


Le Bal de l'empereur et cette phrase « venez mordre la vie, de vos lèvres fanées à pleines dents pourries » sont d'une beauté effrayante. Y serez-vous conviés ? Dans le même ordre d'idée, entre « être beau ou mourir » avez-vous choisi, et qu'en pensent vos parents ?

F : Merci. Je ne sais pas si on sera présent... On entend souvent « hope I’ll die ‘fore I get old », mais finalement, se faire pousser dans une chaise roulante, c’est un peu retrouver son enfance. C’est drôle, on a essayé de jouer récemment Le petit bal perdu, un classique popularisé par Bourvil, et c’est fou la nostalgie qu’engendrent les bals de campagne – c’est toujours un 14 juillet, couché par terre ivre mort derrière l’orchestre, qu’on se rend compte qu’on a raté quelque chose. Je n’ai plus de parents depuis un moment, ce qui m’évite d’avoir à leur avouer que je fais de la musique - une des occupations les moins estimées dans notre échelle de valeur (monétaire) actuelle. Mais on peut survivre sans être un dieu grec, j’ai des indices concordants à ce sujet...

 

                                    

 

Où se procurer L'Elixir du Suédois... à Ikea ? C'est quoi cette histoire de cochon ?

F : Non, non, rien à voir avec Ikea. C’est une chanson pyrénéenne en fait ! On vend encore là-bas l’Elixir du Suédois, une sorte de potion magique aux effets mystérieux, un truc entre l’ambre guérisseuse et l’or rose de l’Himalaya. Je n’ai pas testé moi-même, malheureusement.

 

Et comment va la poissonnière ? (ndlr - Jeanne Balibar interpréte le rôle de la vendeuse de truites...). Elle est belle en vrai ?

F : Jeanne a une voix très particulière, avec un petit quelque chose de suranné qui déclenche de la nostalgie chez moi. On a tout de suite pensé à elle pour la poissonnière de Transparent, et on a fini par lui proposer. Elle a accepté très simplement, et s’est glissée dans le rôle avec beaucoup de facilité. Elle a beaucoup de charme, c’est certain !

 

Vous jouez certains de ces morceaux depuis plusieurs années. Ils ont connu des versions (parfois très) différentes. Etes-vous pleinement satisfaits du résultat ?

F : Oui, on est très content du résultat. Généralement, on arrête les enregistrements quand on commence à regretter ce qu’on a effacé la veille... Notre rencontre avec Sean Bouchard, de Talitres, nous a fait réaliser qu’il était temps de s'arrêter. Je pense qu’on aurait eu du mal à aller plus loin sur les traces de La fiancée du crocodile. Ensuite, il faut se méfier de la perfection, c’est un peu un mirage d’oasis avec des palmiers en plastique et une source de Malibu.

 

D : Oui, on est content, même si on a tenté d'autres pistes d'arrangements sur certains morceaux. Sur L’élixir du Suédois, on voulait un arrangement seventies bluesy proche de JJ Cale. On a essayé des congas avec Mahut (percussioniste d'Higelin, qui a aussi participé à Silence radio), puis on est allé vers des sons de boîte à rythmes MPC, un peu Throbbing Gristle période électro minimaliste. Il y a eu d’autres bifurcations : Yves Desrosiers (chanteur québecquois et réalisateur du premier album de Lhasa), qu’on avait contacté pour nous aider à réaliser l’album, avait maquetté une version très personnelle du Bal de l’empereur. C’était très réussi, mais on a eu du mal à s’y reconnaître. Dans un autre registre, La tête à l’envers a connu de nombreuses versions. En fin de compte, on est heureux d’y retrouver notre lave-vaisselle et un solo de robinet en cuivre !

 

Delphine, après le banjo, la pedal steel, sur quel instrument louches-tu en ce moment, une mandoline, un luth, une autoharpe... un bouzouki ? Quel est l'instrument à cordes pincées qui te semble le plus ardu à manoeuvrer ?

D : J’ai récemment fait l’acquisition d’un dobro qui se situe, en termes de son, quelque part entre la guitare et le banjo, j’adore ! J’ai essayé également des instruments africains comme la cora, mais il me faudra sans doute encore quelques années pour m’y mettre vraiment.

 

Quels sont vos projets à court, moyen et (soyons fous) long terme ?

F : Mmm… Il y en a beaucoup, ça change d’un jour à l’autre. M’installer dans un château au milieu de la lande écossaise, ou au bord du volcan sur l’île de Stromboli, manger des sushis sur la Lune. Trouver la plénitude par la méditation, la drogue ou la religion... Un verre de vin blanc devant un coucher de soleil savoyard. Essayer le nouvel iPad. Et aussi des projets de concerts à l’automne, suite à notre rencontre avec Soyouz, notre tourneur.

D : S’installer dans le Morvan pour élever des autruches, et partir aux Canaries enregistrer un album avec des musiciens locaux à grands chapeaux.

 

Mes amis Belges s'interrogent. Viendrez-vous jouer avant la guerre civile Outre-Quiévrain ? Et ce concert de Verone à Verone... arlésienne, un jour peut être, ou c'est déjà fait ?

F : On a joué aux Nuits Botanique à Bruxelles au moment de Retour au zoo, et pour tout te dire, on rejouerait en Belgique avec grand plaisir. Le Québec m’attire aussi, il y a un humour très spécial dans leur musique, comme celle de Tricot Machine par exemple. Je me souviens aussi de la pirogue de Robert Charlebois !

 

D : A part au Japon, on a très peu joué hors de France, mais on aimerait vraiment jouer à Verone, Berlin, Athènes, ou ailleurs...

 

Quelle est la critique la plus... drôle ou stupide qu'on ait faite à votre égard ?

F : J’aimais bien celle-là, elle n’est pas stupide d’ailleurs : Retour au zoo, c'est le disque qu'on écoute nu devant un bon feu de cheminée après avoir fait l'amour et avant de recommencer... en regardant par exemple des gros flocons de neige tomber... enfin chacun fait comme il veut. (The Icon)

 

 

Franck Ducourant

Verone - La fiancée du crocodile Talitres / Differ-Ant