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MENOMENA
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Photos © Cathimini

"Friend and foe" CD (City Slang/Cooperative Music)

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www.menomena.com
 


                                          Melomania revisited

Peu de groupes arrivent à composer des symphonies de bouts de ficelles avec autant d'esprit et d'émotion que Menomena de Portland.

Ma première rencontre avec le trio formé par Danny Seim (batterie, chant) Justin Harris (chant, basse, sax) et Brent Knopf (claviers, guitare, chant) date de Noël 2004. John Askew, le boss du label Filmguerrero, m'avait envoyé un paquet des sorties de l'année parmi lesquelles se trouvait une galette anonyme, curieusement intitulée "I am the fun blame monster !". La musique, elle, était loin d'être anodine. "On n'a jamais utilisé l'électronique de manière aussi ludique et sensible à la fois" écrivais-je à l'époque.

Ma deuxième rencontre a eu lieu à Evreux, lors du festival "Le Rock dans tous ses états", avant le concert le plus catastrophique de leur carrière… un peu avant la sortie de "Friend and Foe" en France.  Retrouvez ci-dessous l'intégralité de l'interview passé dans la Face 103 d'Abus Dangereux.


Que veut dire Menomena ?
Danny: Aucune idée ! Nous l'avons choisi d'après un sketch des Muppets.

Votre album est marqué par un roulement de batterie qui est comme une griffe. Avez-vous été influencés par le jeu du batteur des Muppets ?
D: Je le prends comme un compliment. J'aimerais être aussi bon que lui. Un jour j'y arriverai… peut être (rires)

Tous vos morceaux sont sous tendus par ce jeu de batterie, excepté "Monkey's back" qui clôt votre album précédent. Les cymbales lui donnent une couleur très jazz qui en fait un morceau à part. Pouvez-vous nous en parler ?
D : Habituellement nous aimons utiliser des boucles et des samples de nos compositions pour en faire autre chose. Mais pour celle-ci nous n'avons pas voulu intervenir sur ce que Brent avait écrit de son côté.
Brent : En fait c'est ma première contribution à Menomena. Nous étions encore en train de chercher ce que nous voulions faire en tant que groupe et c'est devenu notre première chanson. J'aime la combinaison de ce feeling jazz et des sons qui rendent le morceau effrayant. Pour appuyer sur le côté effrayant, je chante de manière à ce que l'on comprenne combien j'ai peur…

Chaque disque a une sorte de morceau caché. Pourquoi ?
Justin: C'est une tradition que nous avons commencée avec le premier album! Si les auditeurs attendent jusqu'à la fin et nous le font savoir, on leur donnera une médaille. (rires) En fait c'est une manière de faire redescendre l'adrénaline.
D : N'importe quoi ! En fait ce sont des morceaux qui sont un peu différents des autres et qui n'ont pas trouvé leur place au milieu des autres. Les séparer avec un silence du corps du disque, c'est comme dire : ah, j'ai encore une idée avant de vous laisser partir.

Vous construisez vos morceaux comme des petites symphonies avec un tas d'instruments différents, des breaks, des ambiances, des sons… Comment les concevez-vous ?
J : Nous travaillons tous les trois ensemble. Nous apportons chacun des idées que nous assemblons comme les pièces d'un puzzle. Nous aimons ajouter des couches, déconstruire, enlever. Nous arrangeons et réarrangeons le matériel dont nous disposons de manière un peu obsessionnelle jusqu'à ce que tout le monde soit satisfait. Ca peut parfois durer des semaines. Nous faisons très attention aux détails. C'est peut être trop long.

En effet il y a des détails à peine audibles que l'on ne découvre que si on écoute au casque et que l'on est très concentré. Par exemple dans "The late great libido" on entend des voix mixées tout au fond. Pourquoi ?
J : C'est ce qui rend le morceau intéressant, découvrir encore des trucs après plusieurs écoutes. Nous travaillons le mixage au casque, c'est peut être pourquoi nous avons l'impression que ces détails sont audibles par tous. Tu as raison, nos disques ne sont pas faits pour être écoutés en voiture.   

Mais vous ne pouvez pas rendre tout ça sur scène. N'est ce pas frustrant ?
J: Nous essayons de maintenir le maximum d'instruments grace à la magie de la technologie moderne. Nos claviers se chargent de retranscrire un peu de la délicatesse de nos arrangements, mais bien sûr nous jouons plus rock'n'roll. Je joue du sax et de la guitare, mais je suis un autodidacte donc c'est un peu limité.

Le nouvel album "ami et ennemi" comporte plus de paroles que le précédent. Il semble que toutes les chansons parlent de guerre, d'avenir noir, d'attaque écologique… Vous êtes influencés par ce que vous voyez, ce que vous lisez…
D : (après un long silence embarrassé) Nous sommes intéressés par les contrastes. Nous sommes confrontés dans notre quotidien à des contradictions constantes et pourquoi ne pas le recycler dans notre musique ? Nous tirons nos sujets de notre expérience, de ce que nous avons appris.

Mais certains artistes gardent leur opinion pour eux-mêmes. Vous semblez faire partie de la catégorie des artistes qui s'expriment ouvertement sur ce qu'ils pensent. Ce qui m'amène à vous demander : pourquoi faites-vous de la musique ?
D : Je crois que je fais de la musique car c'est la chose la plus satisfaisante que je sache faire. Je crois que je suis intéressé par le rock depuis l'âge de 11 ou 12 ans. J'ai commencé à jouer au lycée car c'était vraiment le truc qui m'excitait le plus. Ecouter de la musique ne me suffisait plus. Ce sont des motivations très égoïstes.
B : J'ai pris des leçons enfant mais je n'étais pas très bon en solfège, donc j'ai arrêté. J'ai repris la guitare et le piano à l'oreille. Quand je suis devenu ado, il semblait que c'était la seule chose qui me reliait au monde extérieur. Etre touché par la musique que j'écoute est l'expérience la plus gratifiante qu'il m'a été donnée de vivre étant jeune. Donc j'ai voulu faire partie de ces gens qui communiquent avec le commun des mortels grâce à leur art. Si la vérité veut dire quelque chose pour moi, il me semble qu'elle s'exprime à travers la musique qui me fait vibrer. Je me sens pleinement vivant dans ces instants-là et je veux aider d'autres gens à éprouver le même sentiment grâce à la musique que je fais.
J : Je cherche depuis tout à l'heure une bonne raison, mais je n'en vois pas. (sourire embarrassé) Je crois que ça me plait, c'est tout. C'est flatteur de voir que d'autres personnes apprécient ce que nous faisons. Mais au fond, s'il n'y avait personne pour m'écouter, je continuerais aussi longtemps que je serais satisfait par ce que je crée.

Est-ce que Menomena est votre première expérience ?
D : Pour ma part, c'est le quatrième groupe. Nous avions un groupe avec Justin et nous avons rencontré Brent grâce au second que nous avons arrêté quand il est parti faire ses études. Justin et moi avons emménagé dans la maison de campagne de mon père. C'est une maison complètement isolée à une heure et demie de la ville, pas très loin de la côte. Elle comprend une sorte d'atelier et une remise avec une charpente en bois qui sonne merveilleusement. Ce lieu nous a donné la motivation nécessaire pour recommencer un groupe. L'envie de créer est venue de manière très naturelle. Nous ne voulions pas passer d'annonce pour monter un groupe mais nous n'étions pas assez de deux pour faire ce que l'on voulait. Alors quand Brent est revenu de l'université, il nous apparu naturel qu'il nous rejoigne. Un an après, nous avons décidé que nous étions mûrs pour donner un concert. Il fallait trouver un nom pour le groupe, s'organiser pour lui donner un aspect un peu plus formel. Menomena a donné son premier concert en 2001.

Comment avez-vous travaillé avec Craig Thompson pour la pochette ?
D : Nous avons rencontré Craig grâce à John Askew qui a sorti "I am the fun blame monster !" sur son label Filmguerrero. Craig connaissait le distributeur de Filmguerrero qui lui a fait écouter Tracker en même temps qu'il dessinait "Blanket". Il a contacté John pour composer une sorte de BO pour le livre et a beaucoup aimé le résultat. Il y a trois ans, il est venu à un concert de Tracker avec qui nous partagions l'affiche ce soir-là. Nous sommes restés en contact et nous avons pensé lui envoyer notre nouvel album pour voir s'il avait une idée pour la pochette. Ca l'a rendu complètement fou et il a dessiné tout ça ! La pochette et le disque font partie intégrante de notre projet. Nous sommes très fiers de son travail.

Ca colle parfaitement à votre musique, tous ces détails, toutes ces couches de personnages et de sentiments entremêlés que l'on ne découvre qu'après 3 ou 4 fois. Et on retrouve les titres et les personnages évoqués par les chansons, c'est absolument incroyable.
D : Nous voulions que la pochette ne soit pas juste un objet que tu regardes une fois et oublies. On voulait que les gens la regardent avec plaisir chaque fois qu'ils ouvrent le CD et qu'ils y trouvent un nouveau détail qui les rapproche des morceaux.

J'ai vu trois vidéos sur votre page myspace. Comment vous êtes vous impliqués dans leur conception ?
B : Ca dépend. Personnellement j'étais très engagé dans "Cough Coughing", le clip avec le personnage qui jette des déchets empaquetés aux gens en guise de cadeaux de noël. Jonnie Ross est un réalisateur de Los Angeles. Quand il nous a proposé de faire un clip, nous lui avons dit que nous n'avions pas d'argent. Mais il avait déjà en tête le personnage du Trash Monster et tout ce qu'il nous a demandé est de trouver un endroit pour tourner. J'ai été son assistant sur le tournage et c'était incroyable de travailler avec plus d'une vingtaine de figurants, tous volontaires bénévoles.
D : Le clip de "Wet and Rusting" a été tourné par Lance Bangs à Portland. Son idée était basée sur nos derniers souhaits avant de mourir. Alors nous avons fait un brainstorming et il a mis en image toutes les idées qui nous sont passées par la tête. Nous étions un peu plus impliqués dans celui-là. (rires)

Vous avez mis en musique un ballet contemporain.
B: En 2004, Tahni Holt la chorégraphe de "Under an hour" nous a contactés pour écrire la musique de son nouveau ballet. Elle nous avait vus à un concert car elle suivait de près la scène de Portland. Elle nous a donné une vidéo d'un de ses spectacles pour que nous voyions à quoi ça ressemblait et nous avons beaucoup aimé ce que nous avons vu. C'est un challenge d'accompagner de la danse moderne. Nous avons joué live pendant le spectacle les trois jours qu'a duré le festival. Mais personne n'avait assez d'argent pour que nous suivions la troupe en tournée. John Askew nous a donné l'opportunité d'enregistrer quand même cette musique pour qu'elle ne soit pas oubliée. C'est notre deuxième album.

Cathimini